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Reportage
À Saint-Etienne, berceau de Casino, les employés s’inquiètent pour leur avenir
Chez Casino, rien ne va plus ! Le groupe de grande distribution (56 000 salariés en France) est étouffé par une dette insoutenable. À tel point qu’il a ouvert le mois dernier une procédure de conciliation avec ses créanciers, pour tenter de restructurer son ardoise colossale. Le groupe est à un tournant et pourrait changer de main. Son avenir inquiète, particulièrement à Saint-Etienne, berceau de Casino, créé dans la Loire il y a 125 ans. Casino (groupe devenu mondial au fil du temps) est resté fidèle à la cité minière. Le siège est toujours là, immanquable, à la sortie de la gare, tout de verre et d'acier. "Casino for ever, forts et verts" est inscrit sur la façade.
>> Casino : l'enseigne acculée par une dette colossale
Pour se rendre compte du lien historique entre Saint-Étienne et Casino, un détour par les archives municipales s’impose. Y sont conservés des décennies de documents, comptes rendus, photos, magazines et affiches publicitaires de l’enseigne, soit 200 mètres linéaires d’archives, précieusement conservées dans des étagères.
"Les secrétaires de direction à Casino ont tenu pendant longtemps, surtout depuis le début des années 1930 et jusqu’aux années 1980 des albums photographiques."
Pierre-Regis Dupuy, responsable des archives municipales stéphanoisesà franceinfo
"Ces albums recensent toutes les activités de l’entreprise et nous renseignent sur une période particulièrement longue et d’une façon très précise sur Casino, explique Pierre-Regis Dupuy, responsable des archives municipales stéphanoises. C’est une richesse assez extraordinaire". Parmi les clichés remarquables, ceux du tout premier magasin Casino à Saint-Étienne, ou ceux de l’inauguration du stade Geoffroy Guichard le 13 septembre 1931, par le fondateur de l’enseigne. "Nous pouvons y voir les réceptions à l’occasion de cette inauguration, avec le préfet de l’époque et Geoffroy Guichard en personne", décrit Pierre-Régis Dupuy.
Nous retrouvons au siège de Casino, trois des plus de 3 000 employés de l’entreprise dans la Loire. Sophie, Christophe et Stéphanie travaillent dans un hypermarché stéphanois. Ils sont inquiets pour leur avenir, et celui de leur entreprise. “Casino ça coule dans nos veines”, explique Christophe, un des employés. “Mon papa y a travaillé 40 ans donc on est attaché à la marque Casino". “On a fait des sacrifices pour le groupe, on y a mis beaucoup d’investissement personnel. Donc c’est vrai que lorsqu’on se retrouve à 54 ans comme ça, c’est compliqué”, ajoute Sophie.
Les questions sont nombreuses : “On se demande si on sera encore là demain”, dit Christophe. “Est-ce qu’on va continuer à être des salariés Casino ? Parce qu’effectivement, on a des avantages”, demande Stéphanie. “On a beaucoup de questions et pas beaucoup de réponses”, résume Sophie.
Une liste de potentiels repreneurs annoncée pour le 12 juin
C’est l’incertitude totale pour nombre de salariés, bien conscients des presque 6,5 milliards d’euros de dette de leur employeur et des convoitises qui s’expriment. Intermarché devrait reprendre une grosse centaine de magasins Casino. Une première liste doit être annoncée lundi 12 juin par la direction. Nathalie Devienne, déléguée Force ouvrière chez Casino, premier syndicat de l'entreprise, s'inquiète tout de même : “Les craintes, c’est d’une part la peur d’être dans la liste des magasins qui vont être cédés. Partir d'un groupe qui a des accords pour être vampirisé par un Intermarché où ce ne sont que des indépendants ; parce que ce ne sera pas du tout le même travail. Si le 12 juin, on nous annonce une liste de magasins, on peut supposer que dans les sièges de ces magasins il y aura moins d’activité aussi. On n'a aucune garantie", confie-t-elle. Même incertitude pour les autres salariés du groupe, employés de Franprix, Monoprix ou Cdiscount. Tous sont suspendus aux possibles rapprochements avec d'autres acteurs de la distribution. Jeudi 8 juin soir, les négociations avec Terract ont capoté après plusieurs mois, mais les fondateurs de ce groupe spécialiste de la jardinerie (le trio Niel, Pigasse et Zouari) restent tout de même intéressés, en leur nom. À ce stade, l'empire Casino est toujours entre les mains de Jean-Charles Naouri, emblématique patron depuis 25 ans
Au-delà des salariés, c’est tout Saint-Etienne qui s’inquiète. Au numéro 5 de la rue Michel Rondet, tout près de l’Hôtel de ville, c’est aujourd'hui une librairie, mais le bâtiment, avec sa grande verrière, a accueilli le tout premier magasin Casino, à la fin du XIXe siècle puis une cafétéria Casino, incontournable dans les années 80.
Nombre de Stéphanois rencontrés dans le quartier se disent émus, très attachés à l’entreprise : "Casino, c’est des magasins où quand j’étais gamin, on allait acheter des petites sucreries. C’est un des fleurons stéphanois”. "Casino, c’est Saint-Etienne, on va faire toutes nos commissions chez eux”. “C’est dans notre cœur, Casino va avec nous”.
“Pour moi, c’est l’entreprise qu’il faudrait absolument conserver ici, localement.”
Un habitant de Saint-Etienneà franceinfo
La direction promet de préserver les emplois à Saint-Etienne
Casino est une fierté locale et un acteur économique incontournable depuis des décennies. Le groupe est sponsor de l’AS Saint-Etienne (le club de foot est né de l’amicale des employés Casino et le stade Geoffroy-Guichard porte le nom du fondateur du groupe). L’entreprise soutient aussi la recherche à l’université Jean-Monet ainsi qu’une vingtaine d’associations locales.
Ce dossier est évidemment suivi de près par la Ville. La municipalité promet d'être "très vigilante" sans pour autant pouvoir intervenir, car elle n'est pas actionnaire. La direction, elle, veut rassurer : Casino et Saint-Etienne resteront indissociables, selon Magali Daubinet-Salen, nouvelle directrice générale des enseignes Casino : “Notre priorité, c’est vraiment de préserver l’emploi. Tout est piloté, pour les enseignes Casino, au niveau du siège de Saint-Etienne. Le groupe en tant que tel a intérêt à mettre ses forces vives au niveau du siège de Saint-Etienne et à les conserver. Quand on a des gens qui sont compétents, qui ont des vraies expertises et un marché de l’emploi qui est quand même compliqué, je ne vois pas l’intérêt de se dire que cette partie-là devrait être amenée à bouger ailleurs”.
Pour attirer de nouveau des clients, la direction a engagé ces derniers mois une stratégie de baisse des prix. Mais même ici, à Saint-Etienne, beaucoup se sont détournés de leur Casino malgré l'attachement. L’enseigne est, en effet, devenue trop chère par rapport à la concurrence.
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