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Reportage
"C'est impossible de se loger" : à la frontière avec la Suisse, une prime de résidence pour les agents de la fonction publique française
Les communes françaises proches de la Suisse sont en mal de fonctionnaires. Dans ces territoires frontaliers où la vie est particulièrement chère, en Haute-Savoie et dans l’Ain, beaucoup d'agents de la fonction publique peinent à trouver un logement. Le gouvernement vient donc de mettre en place une indemnité de résidence dans 133 communes de la région, comme il en existe déjà en Île-de-France ou sur la Côte d’Azur.
Cette "prime vie chère" était nécessaire, car dans ces territoires le coût de la vie est élevé en raison de leur proximité immédiate avec la Suisse. Les prix y sont tirés vers le haut par ceux qui traversent quotidiennement la frontière, et reviennent avec des salaires suisses. Résultat : le prix au mètre carré a grimpé de 30% en cinq ans, avec des loyers à près de 800 euros pour un deux-pièces.
En colocation jusqu'à 40 ans
La situation est très compliquée pour un fonctionnaire, alors que le barème des salaires de la fonction publique est national et ne prenait jusqu’ici pas en compte cette spécificité régionale. Rémi est agent d’assainissement près de Saint-Julien-en-Genevois. Avec un salaire à 1 800 euros, il rencontre de vraies difficultés pour se loger : "J’ai tapé à la porte des agences immobilières qui m'ont clairement dit que sans caution ou sans salaire suisse, ça ne servait à rien de pousser la porte pour dire bonjour. Même de particulier à particulier, ne gagnant pas trois fois le montant du loyer, c'est impossible de se loger, se désole-t-il. Du coup j'ai eu 'le bonheur' de passer par un marchand de sommeil qui me faisait dormir dans un garage aménagé pour 600 euros en espèces."
Cette situation a duré six mois puis Rémi a fini par trouver, mais son loyer représente 40% de son revenu. Pour pouvoir s’offrir parfois une sortie au restaurant, il assure sauter beaucoup de repas. Des compromis fréquents dans tous les secteurs de la fonction publique.
Christine, institutrice à deux pas de la frontière, a longtemps dû loger avec une amie. "On a fait de la colocation pendant 13 ans ! J’ai enfin pu me loger seule à 40 ans, pas avant. Et encore, parce que le propriétaire a été souple. En tant qu'enseignante, à 40 ans, ça devient rageant d’avoir autant de difficultés pour se loger."
Jusqu’à des situations critiques : une infirmière, contactée par franceinfo, a dormi trois mois et demi dans sa voiture il y a quelques années, alors qu’elle travaillait en réanimation à l’hôpital d’Annecy. Il faut le vouloir pour rester exercer de ce côté de la frontière : en Suisse, cette infirmière aurait pu tripler son salaire.
Une situation qui pèse sur les services publics
Cela rappelle, s’il le fallait, combien ces agents sont essentiels au bon fonctionnement de l’État. Dans la santé, par exemple, des centaines de lits sont fermées dans les Ehpad et les hôpitaux, sur l’ensemble de la Haute-Savoie, faute de personnel. À l’école, l'équation est la même : peu de candidats pour les postes vacants et, donc, des classes sans professeur.
Au commissariat d’Annemasse, la plupart des policiers ne restent pas plus de quelques années dans ces conditions. Un gros turn-over qui a de vraies conséquences, explique le secrétaire départemental adjoint d’Alliance, Franck Prost. "Ici à Annemasse, où on est surexposés à la délinquance. Avec le manque d’expérience des gens qui ne font qu’arriver, il y a forcément un impact sur le service. Le taux d’élucidation des crimes sera forcément en baisse, donc c’est un tort que subit le citoyen", déplore-t-il.
À Annemasse, plus personne n’a postulé au commissariat depuis 2018. Si l’effectif est relativement complet en ce moment, c’est uniquement grâce aux jeunes sortis d’école, que l’on aiguille en priorité ici. Là encore, les policiers préfèrent rejoindre des postes de sécurité en Suisse, payés trois fois plus.
"Fidéliser" les fonctionnaires dans la région
C'est l'objectif de l'indemnité de résidence, à 3% du salaire, qui sera désormais versée à près de 40 000 fonctionnaires travaillant dans 133 communes de cette zone où la vie est particulièrement chère. Cela veut dire un minimum de 640 euros par an, versé mensuellement. Coût total pour l’État : 35 millions d’euros.
Les élus comme les syndicats s’accordent à le dire : c’est une façon de reconnaître officiellement cette particularité régionale. Mais Rémi explique que ces 50 euros par mois ne serviront qu’à payer un peu d’essence. Il faut aller plus loin, dit Christian Dupessey, le maire d’Annemasse, qui souhaite que l’on autorise les collectivités à acheter des logements pour les sous-louer aux fonctionnaires. "Je vous loue ce logement à un prix proche du logement social mais attention, si vous quittez votre emploi de fonctionnaire, vous quittez aussi ce logement. Et ça aujourd'hui la loi ne le permet pas." C’est un chantier global qui est lancé, rappelle la préfecture, pour continuer d’avancer face à ces difficultés.
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