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Reportage
"Ça fait bizarre de le voir en vrai" : depuis 15 ans, la commune de Montreuil organise des voyages à Auschwitz
Comment lutter contre la recrudescence des actes antisémites en France dans le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas, et alors que les bombardements se poursuivent sur la bande de Gaza ? À Montreuil, en Seine-Saint-Denis, près de Paris, la mairie mise encore et toujours sur l’éducation. Depuis 15 ans, la ville organise, avec le Mémorial de la Shoah, une visite du camp d’Auschwitz avec des habitants, dont beaucoup de jeunes.
Le voyage est long jusqu'au sud de la Pologne. D'abord un avion qui fait Paris-Cracovie. Puis 45 minutes de bus pour ces habitants de Montreuil. Tout le monde descend à la Juden ramp, la voie ferrée où les convois de déportés arrivaient. Quelques mètres plus loin, à l'entrée du camp, le silence s'impose. Nous sommes à quelques mètres du portail de fer à l'inscription tristement célèbre : "Arbeit macht frei" ("Le travail rend libre"). Mehlia a le menton levé, elle n'arrive pas à décrocher le regard de l'inscription. L'étudiante s'arrête un instant avant de passer sous le porche : "Ça fait bizarre de le voir en vrai. De toute façon depuis ce matin on a le sang qui est glacé. Moi, j'ai des frissons dans le dos."
"Si on avait grandi à leur époque, si ça se trouve on serait là aussi"
Le drame suit les Montreuillois de l'autre côté du portail, jusqu'à l'intérieur des bâtiments aux briques et tuiles rouges. Aujourd'hui, ce sont des lieux d'exposition mais avant les déportés y vivaient. Maya et Galice,14 ans, ont du mal à y croire : "On est un peu dans un état de transe, où on ne se rend pas vraiment compte. On n'a pas l'impression que ce soit possible que ça se passe. Surtout cette salle-là dans laquelle il y a plein de portraits d'enfants déportés, tués. Il y a leurs noms aussi. Ça rend tout de suite beaucoup plus concret. Je me sens beaucoup plus concernée que tout à l'heure parce que là on a vraiment les noms. Si on avait grandi à leur époque, si ça se trouve on serait là aussi. Comment ils peuvent faire ça ?" Entre deux ruines de chambres à gaz, une prière en hébreu du secrétaire du foyer israélite de Montreuil, dans le groupe avec eux.
"Tout ce qu'on voit dans les manuels, toutes ces images, tout ce qui nous a un peu traumatisé, j'attends de le voir pour me dire aussi qu'on ne m'a pas menti, qu'on ne m'a pas raconté que des histoires tout au long de ma vie et que ça s'est vraiment produit."
Fayaz, étudiant à Montreuilà franceinfo
Parmi les collégiennes, Maya pense que l'être humain n'a pas beaucoup évolué depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle parle en connaissance de cause : "J'ai déjà vu des gens dire des trucs très antisémites sous le prétexte d'une blague, envoyer des croix gammées ou des choses comme ça sur le groupe de la classe parce qu'ils trouvaient ça drôle. Alors qu'on venait de travailler dessus et qu'ils avaient conscience un minimum. Tout de suite je me suis assez énervée parce que c'est scandaleux de dire des choses comme ça. Il y a des personnes qui l'ont défendu en disant 'Laisse-le, il est bête ce n’est pas grave'. C'est quand même des choses très grave d'envoyer des photos d'Hitler qui fait des saluts nazis, d'envoyer des croix gammées. C'est illégal."
"Finalement tout peut réapparaître, vu ce qu'on voit actuellement"
Justement avec la guerre au Proche-Orient, ce voyage prend une autre dimension selon Aurélien Chalifour, professeur d'histoire-géographie : "On a des termes très importants qui arrivent dans le débat comme le terme de génocide. Qu'est-ce que c'est qu'un génocide, comment il peut s'incarner ? Du coup c'est très fort de voir ces notions qui sont pour les élèves, dans leur programme de troisième, des mots-clés. Comment ça devient autre chose que ça, comment c'est une réalité politique dans laquelle on peut vivre ?"
Face à la montée de l'antisémitisme, Anis, 20 ans, ne peut s'empêcher de comparer sa visite à une piqûre de rappel qu'il considère comme nécessaire : "On est dans une phase ou on se rend compte de ce qu'il se passe dans le monde, de beaucoup d'horreurs qui augmentent, de beaucoup de haine. On se rend compte que finalement tout peut réapparaître vu ce qu'on voit actuellement." Et il n'est pas le seul à le penser, à la sortie d'Auschwitz plusieurs d'entre eux le disent : "L'histoire n'est qu'un perpétuel recommencement."
La commune de Montreuil a déjà été confrontée à des actes antisémites mais Patrice Bessac, le maire communiste, veut croire que ce voyage contribue à la cohésion sociale de la ville : "Non seulement ça permet de contenir et de lutter contre l'antisémitisme, mais cela crée des anticorps dans notre communauté montreuilloise. Cela crée, chaque année, 140 personnes qui, avec leurs yeux, ont pu ressentir les effets de l'antisémitisme, du racisme et de la violence humaine poussée au bout."
Pour poursuivre ce travail de réflexion les participants vont prochainement visiter les camps de Drancy, au nord-est de Paris, installés par les Allemands, près de 4 200 hommes juifs y ont été internés.
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