Reportage
"Ce serait pire de rester silencieux ou d’essayer de prétendre que tout va bien" : en Suède, la menace d'une guerre avec la Russie au cœur de la vie politique

En Suède, où se rend Emmanuel Macron mardi, une série de déclarations alarmistes encourage la population à se préparer à une potentielle guerre.
Article rédigé par franceinfo - Carlotta Morteo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un soldat suédois lors d'un exercice de l'Otan, en mer Baltique en 2021. (JOHAN NILSSON / TT NEWS AGENCY)

Emmanuel Macron est en visite en Suède mardi 30 janvier, alors que ces dernières semaines, les responsables politiques et militaires suédois ont alerté la population sur les menaces d’une potentielle guerre.

Tout est parti d’une station de ski, à Sälen, où se déroule tous les ans, au mois de janvier, une conférence nationale de trois jours sur la Défense. Le Premier ministre, Ulf Kristersson, le roi, de nombreux responsables politiques, des haut-gradés de l’armée… Tout le gotha suédois était présent, la presse aussi évidemment.

C’est dans ce cadre-là, qu’une série de déclarations, qui ont pu paraître alarmistes, ont été faites. Celle de Carl-Oskar Bohlin, le ministre de la Défense civile, est celle qui a le plus été relayée sur les réseaux sociaux : "Pour une nation qui a connu la paix comme un compagnon agréable pendant près de 210 ans, l’idée qu’elle est une constante inébranlable de la vie est commode. Mais se reposer sur cette conclusion est devenu plus dangereux qu'il ne l'a été depuis très longtemps."

"Beaucoup l’ont dit avant moi, mais permettez-moi de le faire avec la force de la fonction, de manière moins voilée et avec une clarté sans fard : il pourrait y avoir une guerre en Suède. Qui serez-vous si la guerre éclate ?"

Carl-Oskar Bohlin, ministre de la Défense civile suédois

lors de la Conférence annuelle de Sälen

Le ministre s’adresse directement aux Suédois, le ton est grave. Puis, quelques jours plus tard, c’est le commandant des armées qui relance le sujet à la télévision en invitant ses concitoyens à se préparer mentalement et concrètement à l’éventualité d’une guerre.

Le ministre de la Défense suédois, Carl-Oskar Bohlin, lors de la Conférence nationale sur la société et la défense à Sälen, en Suède, le 7 janvier 2024. (PONTUS LUNDAHL / MAXPPP)

Un coup de stress général

Sur le moment, la réaction des Suédois est épidermique, un coup de stress général. Ils ont massivement consulté le site internet de la Défense civile sur lequel on trouve, non seulement la carte avec les abris antiatomiques les plus proches de chez soi, mais aussi cette fameuse brochure qui liste tout ce qu’il faut prévoir d’avoir chez soi en cas de crise.

De la nourriture pendant une semaine, un jerricane d’eau, un stock de médicaments, un réchaud à gaz, des bougies, une radio portable à piles, de l’argent liquide, ou encore des sacs-poubelles pour faire ses besoins dedans. Un kit de survie en cas de coupure d’électricité, d’eau, d’internet ou d’approvisionnements dans les magasins.

Mais de là à se projeter dans le pire. Les Suédois semblent, quand même, toujours assez insouciants. Lalle Gustafsson, 42 ans, est né après la Guerre froide, il est père de deux enfants, et même lui, qui a pourtant fait son service militaire il y a 20 ans, n’est clairement pas prêt : "Bien sûr, c’est un message inquiétant, ce n’est pas une blague, je sais que c’est sérieux. Mais en tant que Suédois, la guerre c’est très lointain, donc ça fait vraiment peur. Je suis allé voir les sites internet où on peut acheter des boîtes de survie, différents kits en cas de crise, mais je n’ai rien commandé." 

"Je ne veux pas être 'prêt', c’est un mélange de paresse et de déni. Donc, peut-être que je vais plutôt préparer un plan de fuite.”

Lalle Gustafsson

à franceinfo

La méthode est-elle vraiment efficace ? N’instigue-t-elle pas seulement un sentiment de peur ? Pour certains, c’est une manière de détourner l’attention des gens de la crise économique qui frappe les ménages en ce moment. D'autres ont relevé qu’il y avait déjà des pénuries de personnel dans les hôpitaux et que les trains n’arrivent quasiment jamais à l’heure. Alors qu’est-ce que ce sera en temps de guerre ?

Tous les spécialistes de la défense s’accordent à dire qu’une bonne douche froide, ça a le mérite de remettre les idées en place. Niklas Granholm est le directeur adjoint de l’Agence de recherche sur la défense, l’institution qui oriente les politiques publiques : "Avec tout ce qu’il se passe depuis 10-15 ans, c’est à se demander si les gens vivent sous une pierre. C’est très étonnant."

"Tous les signaux, toutes les analyses que nous faisons, pointent clairement vers une situation sécuritaire beaucoup plus difficile."

Niklas Granholm, directeur adjoint de l’Agence de recherche sur la défense

à franceinfo

"Il faut dire les choses comme elles sont, être honnête sur la situation, c’est la meilleure attitude à avoir, ajoute Niklas Granholm. Ce serait pire de rester silencieux ou d’essayer de prétendre que tout va bien, que le public n’a pas de quoi s’inquiéter, car ça n’est clairement pas le cas, vraiment pas…"

La crainte d'être attaqué par la Russie

La menace n’est ni imminente, ni directe, si ce n’est que la Suède soupçonne déjà la Russie d’être derrière des cyberattaques et des opérations de guerre informationnelle récentes. Mais à moyen ou long terme, le pays se projette désormais dans des scénarios qui, pour une raison ou une autre, pourraient l'aspirer dans un conflit armé. "D'un point de vue militaire, explique Niklas Granholm, les régions nordique et baltique forment un seul et même espace stratégique."

"Aujourd’hui, les systèmes de missiles, les capacités aériennes ont une bien plus longue portée et une plus grande précision qu’à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, quand la Suède pouvait se permettre de rester neutre."

Niklas Granholm, directeur adjoint de l’Agence de recherche sur la défense

à franceinfo

"Si un conflit advenait - je le dis bien au conditionnel - dans les pays baltes ou en Finlande, la Suède deviendrait une espèce de zone arrière à travers laquelle transitent de nombreuses ressources qui doivent être déplacées d’ouest en est. Donc la Suède serait partie prenante d’un conflit ouvert, s’il arrivait quelque chose dans la région."

Voilà pourquoi la Suède investit massivement dans son armée, a rétabli le service militaire partiel, dépense sans compter - ou presque - dans son industrie de l’armement. Mais pour résister, il faut aussi que toute la société soit résiliente. Dans la durée, c’est la stratégie dite de défense totale qui est réactivée aujourd'hui en Suède : cette imbrication du militaire et du civil, et c'est en temps de paix qu'il faut la préparer.

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