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Reportage
Guerre en Ukraine : le pont de Kertch, en Crimée, cible privilégiée des Ukrainiens et point faible de la Russie
Le pont de Kertch, en Crimée, est devenu un enjeu majeur de la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Pour comprendre l'importance de ce pont pour la Russie, on peut se rendre dans la boutique de souvenirs de Svetlana, sur le front de mer à Kertch, c'est là que le pont arrive, côté Crimée. Chez Svetlana, presqu'un article sur deux représente le pont : sur les foulards, les tasses, les magnets, les t-shirts, le pont est partout. "Bien sûr, c’est important. Tout passe par le pont, explique-t-elle. Lorsqu’il a été ouvert en 2018, savez-vous combien de personnes étaient présentes ? Des gens du nord, de Sibérie… Ils étaient si heureux que le pont soit terminé. Il y avait de très grandes files d'attente quand on prenait le ferry pour venir en vacances."
C'est Vladimir Poutine lui-même, au volant d'un camion, qui avait inauguré il y a cinq ans cet immense pont de 13 km, le plus grand d'Europe. Il est devenu le symbole du rattachement à la Russie de cette région ukrainienne conquise en douceur, mais illégalement. Ce passage routier a changé la péninsule.
Mais depuis le début de la guerre, il est devenu une cible pour l'armée ukrainienne : par deux fois déjà, un camion piégé puis des drones navals l'ont endommagé. Et ce n'est pas sans conséquences, explique Anatoli, qui organisait des promenades en mer : "Après l’effondrement du pont, lors de la première explosion, les contrôles ont été renforcés. Les bus subissent deux à trois heures de contrôle, les gens sont fouillés. Personne ne veut faire la queue pour être fouillé et contrôlé. De nombreux circuits ont été abandonnés. L’activité touristique a énormément souffert." Anatoli n'a plus le droit de naviguer sous le pont, ses quatre salariés sont au chômage.
Maxime, lui, est un patron-pêcheur basé à Kertch. Mais il ne peut pas sortir en mer comme il le voudrait : "Des missiles ukrainiens survolent le pont et pour assurer notre sécurité, l’armée ferme le détroit de Kertch. À ce moment là, personne ne peut passer."
"Pour les pêcheurs ça devient compliqué, parce qu’il y a de plus en plus de missiles."
Maxime, patron-pêcheur à Kertchà franceinfo
La circulation sur le pont est difficile, évidemment. Les contrôles peuvent être très longs pour les voitures et les bus. Les trains qui passent sur la partie ferroviaire sont aussi longuement inspectés. Quant aux camions, ils n'ont plus le droit d'emprunter le pont. Les chauffeurs doivent donc prendre le ferry, mais comme souvent il faut attendre... Parfois longtemps, comme Boris et ses collègues, croisés en plein soleil sur un parking qui ressemble à un terrain vague : "Ça fait trois jours qu’on attend, et il y en a peut-être pour une semaine. Il n’y a pas de douche, pas de toilettes… Il y a peu de bateaux, les véhicules militaires passent devant nous. Et on est tous coincés."
"Le pont s'effrondrera bientôt, nous l'espérons"
À Kertch, tout le monde sait bien que le pont sera de nouveau visé, probablement. Mais beaucoup refusent d'en parler, comme cet homme croisé dans la rue : "C'est un délit pénal, maintenant, de parler de ça. Si vous ne le savez pas, moi je le sais ! Il ne faut pas parler de ça, je ne dirai rien." Lioudmila, elle, ne cache pas ses sympathies pro-ukrainiennes. Une attitude rarissime, au regard des risques encourus. Cette retraitée nous avoue qu'elle rêve de voir ce pont détruit : "Je ne veux pas de ce pont, c’est la Russie qui en a besoin parce que la Crimée est une base militaire. Ce pont n’est fait pas pour les gens, c’est juste une affaire de militaires. Mais le fait est qu’il s’effondrera bientôt, nous l’espérons, nous l’attendons. Et ceux qui devraient fuir par le pont partiront par le corridor terrestre."
Ce corridor terrestre évoqué par Lioudmila, c'est la route par le nord, à travers les territoires occupés : un itinéraire beaucoup plus long et beaucoup plus dangereux.
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Pour détruire ce pont, il faut bien plus qu'un missile. Il faut des quantités d'explosif très importantes pour réussir à endommager cette énorme masse de béton et d'acier. Mais clairement, le pont de Crimée qui était le symbole de la puissance du Kremlin, de sa capacité à imposer ses vues par la force, est aujourd'hui devenu son point faible. "Le pont de Crimée est devenu une cible militaire légitime, confirme le politologue russe en exil, Dimitri Orechkine. Et toutes ces histoires de propagande autour du pont de Crimée vont se retourner contre Poutine, parce qu'il s'effondrera."
"Poutine a fait de la Crimée un objet d’exposition et il s’avère maintenant que ce merveilleux jouet ne fonctionne pas."
Dimitri Orechkine, politologueà franceinfo
En ce moment le pont est régulièrement fermé la nuit, pour des travaux de reconstruction. Jusqu'à la prochaine attaque...
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