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Reportage
"Arrêtez de faire 4×4 partout" : à la rencontre des "dégonfleurs de pneus" qui s'attaquent aux SUV dans les villes

En France, près de la moitié des voitures achetées neuves sont des SUV. Mais ils ne font pas l'unanimité : trop grands, trop polluants, ils sont la cible d'activistes qui dégonflent leurs pneus pour lutter contre la prolifération de ces véhicules dans les villes.
Article rédigé par franceinfo, Agathe Mahuet
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Lucie et Lumette (pseudos) font partie des dégonfleurs de SUV, des activistes qui luttent contre la prolifération de ces véhicules dans les villes. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

Sur la quinzaine de "dégonfleurs" qui agissent en région parisienne, Lucie et Lumette – sous pseudonymes – sont deux activistes qui, la nuit tombée, aux alentours de 23 heures, agissent dans les beaux quartiers de l'Ouest parisien. Sans perdre de temps, l'une d'elles s'accroupit au pied d'un SUV garé dans la rue : "Là, je dévisse le capuchon, je mets une ou deux lentilles, comestibles, je revisse et les lentilles vont appuyer sur la valve. Ça se dégonfle, on l'entend, et ça a pris dix secondes à peu près."

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En une demi-heure, elles répètent ce geste une dizaine de fois sur ces véhicules utilitaires sportifs, les SUV, qui se distinguent par leur carrosserie plus haute, rivalisant parfois de gigantisme. "Ah, mais celui-là, c'est vraiment un 4×4-là, il ne fait même plus semblant d'être un véhicule citadin !", s'indigne la jeune femme. Le binôme laisse systématiquement un prospectus sur le pare-brise : "C'est une façon de prévenir le conducteur, pour qu'il ne prenne pas le volant sans savoir que son pneu est dégonflé, et ça permet d'expliquer la démarche."

Pour se protéger elles-mêmes, notamment des caméras de surveillance, Lucie et Lumette se déguisent en sportives du soir, capuches sur la tête, masque sur le visage. "On peut aussi être la ligue du yoga de nuit si besoin !", ironisent-elles. Elles font parfois quelques étirements sur le trottoir : "Ça nous permet de voir ce qu'il y a autour, et d'être plus crédibles à traîner le soir sur un parking." Jusqu'à aujourd'hui, elles ne se sont jamais retrouvées face au conducteur de l'un de ces SUV. "C'est un peu notre plus grande peur, plus que la police, parce qu'il faudrait vraiment courir vite à ce moment-là !", avouent-elles en restant vigilantes.

"On est un caillou dans la chaussure. Il existe aujourd'hui toute une frange de la société qui fait fi de tous les constats qu'on fait sur la planète, qui est en train de cramer. On essaye d'entraver cette pseudo liberté que ces personnes prennent en achetant ce genre de véhicule."

Lucie et Lumette, deux activistes anti-SUV

à franceinfo

Selon elles, tous les moyens de s'informer sont à disposition : "On produit des rapports tout le temps, on a toutes les informations, on est au courant. Et si tu continues d'agir comme si on ne savait pas, moi, je passe à un autre mode d'action, on ne cherche pas à débattre." Les deux jeunes femmes ont ainsi dégonflé une centaine de SUV depuis cet automne, à Paris. À l'échelle mondiale, le mouvement des dégonfleurs de pneus dit avoir mis à l’arrêt 12 000 véhicules, en un peu plus d’un an.

Les dégonfleurs de pneus laissent systématiquement un prospectus sur le pare-brise pour expliquer leur action. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

En termes d'émissions toxiques, celles qui dégradent la qualité de l’air, le SUV doit respecter les mêmes normes que les autres voitures, donc à génération équivalente, un SUV n’est pas plus polluant qu'une berline selon cette définition-là. En revanche, en termes de gaz à effet de serre, qui participent au réchauffement climatique, là, les SUV posent un problème écologique. Le SUV pèse en moyenne 100 kilos de plus qu’une berline, il a donc besoin de davantage d’énergie, et de carburant pour se mouvoir. Selon l'Ademe – l'Agence de la transition écologique – un SUV représente en moyenne 10% d’émissions de CO2 en plus qu'un plus petit modèle de voiture. Sans compter les ressources plus importantes nécessaires pour leur construction.

Le critère écologique "n'est pas du tout prioritaire" pour l'acheteur 

Depuis quelques années, les SUV sont devenus les voitures préférées des Français : ils représentent 45% des ventes de voitures neuves en 2022 en France. Parmi les acheteuses satisfaites, on retrouve Héloïse. Cette habitante des Yvelines vient travailler quotidiennement à Paris, au volant de son SUV de marque française. "C'est assez agréable d'avoir cette sensation de sécurité", explique cette mère de famille. "J'ai déjà crevé sur l'autoroute sans dévier ! Elle est très confortable, agréable à conduire, assez spacieuse pour installer mes deux ados. Elle n'est pas très pratique pour se garer à Paris, mais je l'adore !" Héloïse se félicite notamment d'avoir choisi un modèle hybride, elle utilise la formule électrique sur les petits trajets quotidiens.

Mais, comme le précise l'Ademe, les SUV électriques ne résolvent pas l'empreinte carbone de la fabrication de ces modèles. Par ailleurs, l’économiste Flavien Neuvy, directeur de l’observatoire Cétélem, explique que le critère écologique n’est pas du tout prioritaire chez l’acheteur, qui est plutôt guidé par deux éléments.

"D'un côté, ce sont des véhicules pratiques et solides, notamment pour les familles nombreuses. De l'autre, il y a cette dimension émotionnelle, un imaginaire, un design qui séduit les automobilistes. Les crossovers ont clairement beaucoup joué là-dessus."

Flavien Neuvy, économiste

à franceinfo

Il note d'ailleurs un changement de point de vue : "Ce qui est incroyable, c'est qu'au début des années 2000, quand le premier crossover va sortir, on est dans une période où les 4×4 sont stigmatisés en ville. Donc on se dit à l'époque que c'est complètement à contre-courant de l'air du temps, et que ça ne peut pas marcher. Et ça a finalement eu un succès commercial inattendu et vraiment très étonnant !"

Un succès que certaines villes tentent maintenant de freiner : dès l'an prochain, Lyon et Paris vont augmenter le coût du stationnement des SUV. À Lyon par exemple, le prix sera deux fois plus cher qu'aujourd'hui : 45 euros l'abonnement mensuel, pour les véhicules "les plus encombrants" contre 20 euros actuellement.

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