Reportage
"On ne pouvait s’asseoir que pendant le repas sinon ils te frappaient" : des soldats ukrainiens racontent leur quotidien dans des prisons russes

Ces rares soldats qui ont pu revenir chez eux à la faveur d’échanges entre les deux pays témoignent de journées interminables, ponctuées d'interrogatoires violents et de travaux forcés.
Article rédigé par Boris Loumagne
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Dmitro montre une photo de lui (à droite) au moment de sa sortie de prison. Il avait perdu 26 kilos. (BORIS LOUMAGNE / RADOFRANCE)

Depuis le début de la guerre en Ukraine, des milliers de militaires ukrainiens ont été faits prisonniers sur le front. Seuls 1300 d'entre eux ont pu revenir chez eux à la faveur d’échanges entre les deux pays. Les tortures et les humiliations ont été le quotidien des soldats ukrainiens dans les prisons russes que nous avons rencontrés.

Il y a tout d’abord Dmitro, 26 ans. Il a été capturé à Marioupol en mai 2022 avec plusieurs centaines de camarades. Très vite, Dmitro est transféré dans une prison située dans le sud de la Russie. "En été il faisait chaud. En hiver, il faisait froid. Cette prison était vétuste, décrit-il. Trois repas par jour mais bon, même les enfants mangent plus que ça... Et puis surtout, des jours entiers debout. C’était interdit de s’asseoir. De 6 heures du matin à 22 heures. Debout... On ne pouvait s’asseoir que pendant le repas sinon ils te frappaient le matin, le soir".

Debout, dans sa cellule, sans rien faire. "La première semaine c’était très dur, confie Dmitro. Après je me suis habitué. Mais j’avais vraiment les jambes grosses comme ça, toutes gonflées. Et aujourd’hui j’ai besoin d’un traitement contre les varices". Dans cette prison russe, la violence des gardiens est quotidienne. "Ils utilisaient des matraques, des tazers, des chiens d’attaque... Moi, par exemple, ils m’interrogeaient deux fois par semaine. Ils voulaient montrer qu’ils travaillaient mais en fait ils te demandaient n’importe quoi. Ils cherchaient des questions de culture générale sur internet. Et si tu ne répondais pas, ils te frappaient". Le corps de Dmitro porte encore les stigmates de ces violences gratuites.

95% des soldats ukrainiens torturés dans les prisons russes

Il y a ensuite Sergui qui a tenté de fuir la ville de Marioupol assiégée en avril 2022. Avec son unité d’une trentaine de soldats, ils sont repérés par une patrouille russe, arrêtés, interrogés violemment et enfin conduits en prison. "Ils nous humiliaient, moralement et physiquement, relate-t-il. Face contre le mur, jambes et bras écartés, les yeux bandés, et ils te demandaient : ça veut dire quoi F.A.U ? Tu répondais en ukrainien Forces Armées Ukrainiennes, et là, ils te frappaient dans le dos en criant : parle russe ! Pour chaque mot en ukrainien, ils frappaient très fort les reins, les testicules, les jambes, la nuque. Très violemment".

Des interrogatoires sans fin, sans queue ni tête pour des soldats comme Sergui qui n’ont aucune information à révéler. C’était absurde, se rappelle-t-il aujourd’hui. Mais il y a pire que ça, comme cet épisode que Sergui peine à nous raconter. "Un jour, on nous a ramenés à Marioupol, commence Sergui. On nous a donné des pelles et des sacs pour aller exhumer des corps de civils que leurs proches n’avaient pas pu enterrer normalement pendant les bombardements."

"A un moment, on a déterré le corps d’une petite fille de 5 ans avec un grand nounours blanc. Et ça, c’est gravé en moi à vie".

Sergui, soldat ukrainien,

à franceinfo

Alors quand on entend ces témoignages, on se demande comment ces hommes ont pu tenir pendant ces longs mois de détention. Une réponse, la même, pour ces deux anciens prisonniers. La famille, revenir vivant pour sa famille. Sergui a pensé à sa femme, Dmitro à sa mère. "Tous les jours je me levais et je parlais. Comme un fou. Je disais : 'voilà maman cette nuit j’ai rêvé de ça et de ça' Je racontais tout à ma mère. Ça me faisait du bien. Et puis quand j’ai été libéré, ma mère m’a dit : 'moi aussi je parlais avec toi'".

Dmitro a été libéré lors d’un échange de prisonniers en juin dernier après deux ans de prison. Une partie de lui est restée de l’autre côté de la frontière. "Ça m’arrive parfois la nuit de me lever brusquement et de me mettre debout, au garde-à-vous. Et puis je finis par me calmer", raconte-t-il.

Sergui, de dos, dans les rues de Kiev. (BORIS LOUMAGNE / RADIOFRANCE)

Quant à Sergui, sa captivité a pris fin un soir de janvier. Après un long périple à travers la Russie, les yeux bandés, avec quelques camarades on les installe dans une petite pièce. Et puis un soldat avec une cagoule est entré et a dit en ukrainien : "Salut les gars, vous êtes à la maison". Certains pleuraient, d’autres s’empoignaient. "Ce sont des émotions immenses. C’est comme une deuxième naissance cette nuit du 3 au 4 janvier".

D’après un rapport des Nations Unis, 95% des soldats ukrainiens ont été torturés lors de leur passage dans les prisons russes.

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