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Reportage
"Pour de l'argent, je n'ai pas peur d'être tué" : les "jobbeurs", ces jeunes intermittents du trafic de drogue à Marseille
Au tribunal de Marseille, ils défilent en audience de comparutions immédiates. Ce sont des jeunes, étrangers à la ville, venus travailler dans le trafic de stupéfiants. Face aux juges ce jour-là, Souleymane*, 19 ans. Il habite en région parisienne mais il a été interpellé à Marseille en train de vendre de la drogue dans la cité des Rosiers, dans le 14e arrondissement. Condamné à six mois de prison avec sursis, il raconte à la sortie de l’audience qu’il partageait le point de deal avec d’autres Parisiens, des Lyonnais et des mineurs. "Il y avait même un garçon de 12 ans, c’est l’âge de mon petit frère", glisse le jeune homme aux traits encore adolescents.
"Je suis venu à Marseille pour faire un peu d’argent. On m’avait promis un poste pour vendre de la coke ou du shit. En temps plein, je pouvais faire jusqu’à 500 euros par jour", explique Souleymane. Titulaire du baccalauréat, le jeune homme avait pourtant déjà un emploi à Paris. "Je travaillais au McDo mais j’étais en galère, je ne touchais même pas le smic. J’avais trouvé un appartement et on me demandait une caution, c’est pour ça que je suis venu à Marseille", raconte-t-il.
"Pour de l’argent, moi, je n’ai pas peur d’être tué"
Souleymane, "jobbeur" de 19 ansà franceinfo
Souleymane connaît les risques. Depuis le début de l’année à Marseille, 47 personnes sont mortes dans des règlements de compte liés au trafic de drogue. La dernière victime était, comme lui, un "jobbeur". Un jeune Savoyard âgé d’une vingtaine d’années a été tué par une rafale de kalachnikov quelques heures après sa descente du train, sur un point de deal de la cité de la Bricarde dans le 15e arrondissement.
Pour les "jobbeurs", "ça finit souvent entre quatre murs ou entre quatre planches", résume Vincent Clergerie, magistrat au tribunal de Marseille. Il y a présidé pendant deux ans les audiences de comparutions immédiates. Il a vu ces jeunes se succéder dans le box des prévenus, certains fascinés par le narcotrafic.
"On le voit sur beaucoup de portables de ces jeunes qui viennent travailler à Marseille. Une des premières choses qu’ils font quand ils arrivent, c’est d’envoyer une photo de leur point deal sur Instagram, TikTok ou Snapchat. Plus ils ont d’argent à étaler sur les marches sur lesquelles ils sont en train de vendre, plus ils sont fiers de cette carte postale de Marseille", constate Vincent Clergerie. La moitié des personnes jugées à Marseille pour des petites affaires de trafic de stup’ ne viennent pas de la ville, selon le parquet.
Une main-d’œuvre désorientée et sous emprise
Pour les réseaux de trafiquants, ces jeunes qui arrivent de toute la France sont une aubaine. Ils comblent la pénurie de main-d’œuvre locale car il est de plus en plus difficile de recruter des Marseillais pour faire les petites mains dans les cités. En première ligne du trafic, les risques d’essuyer les tirs de clans rivaux ou d’être interpellés sont trop grands.
Les jeunes recrues venues d’ailleurs ont aussi l’avantage d’être désorientées et dépendantes des réseaux de trafiquants marseillais. "On va les chercher à la sortie de la gare, on les installe dans un hôtel qui n’est pas dans la cité puis on les positionne sur le point de deal. Ils n’ont pas de repères. Il leur est donc très difficile d’imaginer concurrencer l’activité des réseaux de trafics de stupéfiants déjà établis. Quand les "jobbeurs" se font interpeller, ils ne peuvent donner que très peu d’informations aux policiers. On peut aussi leur mettre davantage la pression. Les personnes isolées sont beaucoup plus facilement maîtrisables", précise Vincent Clergerie.
Menacés, violentés, séquestrés… Les "jobbeurs" sont souvent contraints de travailler gratuitement quand les trafiquants leur reprochent une saisie de marchandise ou une perte d’argent. Ils se retrouvent régulièrement prisonniers de dettes parfois fictives.
Des petites annonces pour des postes de guetteurs, de vendeurs ou de tueurs
Pour attirer des candidats malgré les risques, les petites annonces alléchantes fleurissent sur les réseaux sociaux. "#MarseilleFavelas", "tu veux faire des sous, on vous recrute maintenant", "guetteur et vendeur vif d’esprit, à l’affût", voilà ce que l’on peut lire. "Il y a de vrais efforts marketing qui sont faits par les réseaux de trafiquants, avec des couleurs criardes, des annonces sur fond de clip de rap", explique Etienne Loisel, chef de l’antenne marseillaise de l’Office anti-stupéfiants (OFAST).
"Les petites annonces permettent de recruter des guetteurs, des vendeurs, des coupeurs, des nourrices, des transporteurs... Il y a toute une chaîne logistique pour faire fonctionner les trafics de stupéfiants. À la marge, ce que l’on constate avec la montée des violences, c’est le recrutement par petites annonces d’équipes chargées d’exercer ces violences, y compris des règlements de compte. On l’a vu sur Marseille avec certains auteurs de règlements de compte, recrutés sur Signal ou TikTok", détaille Etienne Loisel.
Le "prix de la vie" baisse
Le recrutement de tueurs sur les réseaux sociaux est un phénomène très récent et fait baisser "le prix de la vie", s’inquiète Olivier Leurent, le président du tribunal de Marseille. "On sait aujourd’hui qu’ils sont recrutés afin de tuer pour des sommes qui avoisinent 10 000 ou 15 000 euros. Auparavant, il y a dix ou vingt ans, on était plutôt sur des contrats de 80 000 à 100 000 euros. Là, on voit bien que les passages à l’acte se font pour des sommes beaucoup plus faibles", constate-t-il.
Parmi les jeunes missionnés par les réseaux de trafiquants pour tuer à Marseille, certains sont originaires de Valence, de Toulouse, de Nice, ou de région parisienne, précise le parquet de Marseille.
*Le prénom a été changé
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