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Reportage
"Regardez le sol, on dirait un désert" : face aux records de chaleur, le "désastre" des agriculteurs du sud de l'Espagne
37 degrés fin avril : les records de chaleur ont été battus ces derniers jours, un peu partout en Espagne, en proie à une canicule très précoce. Et les premières victimes, ce sont les agriculteurs asphyxiés par le manque de précipitations.
À El Carpio, à l’Est de Cordoue, en Andalousie, sur les terres de Bartolomé Jurado, pas de système d’irrigation pour ses champs de céréales brûlés par le soleil et la sécheresse. Cet homme de 72 ans comptait sur le ciel pour arroser ses 28 hectares, mais, voilà, les dernières pluies, peu abondantes, remontent au début de l’année. "Ici, normalement, tout devrait être vert. Mais avec la sécheresse, nos cultures n'ont pas résisté. Le blé, l'orge, les fèves, tout est sec, on ne va rien pouvoir récolter", regrette-t-il, avant de nous emmener à travers les champs en voiture "pour voir". Derrière son volant, il ne cache pas son épuisement : "L'année dernière, c'était une année normale. Elle n'était pas bonne, on manquait déjà d'eau, mais il a fini par pleuvoir et on a pu sauver les récoltes. Mais cette année, non : tout est sec. Regardez le sol, on dirait un désert ! C'est un grand désastre. Tous les petits agriculteurs comme moi finiront par disparaître".
Bartolomé doit donc renoncer à ses récoltes, faute de précipitations. Dans la région, seules les cultures qui sont irriguées résistent à cette sécheresse. Pour faire pousser ces tomates, Antonio Carmona, de la commune d'Alcolea, toujours près de Cordoue, doit pomper l’eau d’un puits, une eau souterraine qui permet d’arroser son terrain d'un hectare écrasé par la chaleur. "Les plants de tomates souffrent de stress. Avec cette chaleur, je dois les arroser davantage. Ces températures ne sont pas normales pour nous, mais également pour eux. Ces chaleurs sont celles d'un mois de juillet ou d'août, pas en avril", avance-t-il.
"Nous dépendons du climat à 100%"
Problème : l’eau est une denrée de plus en plus rare dans le sud de la péninsule ibérique, une région également connue pour ses oliviers. Et, là aussi, la production est très affectée. L'Espagne est le premier producteur mondial d’huile d’olive, mais ses rendements devraient baisser si l’on en croit, Francisco Elvira, de la ville de Jaén, à la tête d’une oliveraie de 34 hectares, dont une grande partie dépend de la pluie.
"C'est une culture à l'air libre, nous dépendons du climat à 100%. Et ces températures durant cette période si sensible vont probablement mettre en danger les récoltes, car nous sommes en pleine floraison. Et quand il y a des températures supérieures à 32-33 degrés, la fleur s'assèche, meurt et ne produit pas de fruit. Il n'y a pas de production, donc nous allons avoir un problème", tranche-t-il, inquiet.
Une sécheresse et des températures qui menacent les 50 hectares et 16 000 oliviers de Fernando Lopez Ruiz, 33 ans. Lui, pourtant, respire : il a anticipé la période que traverse le sud de l’Espagne en investissant il y a 6 ans, plus de 150 000 euros dans un système d’irrigation ultra-moderne. L’eau est pompée directement depuis le fleuve Guadalquivir à 20 kilomètres de là et irrigue des champs d’oliviers à perte de vue. "L'eau du Guadalquivir arrive jusqu'ici. C'est le système le plus rentable et qui gaspille le moins d'eau. Ce système n'a pas de déperdition, qui permet de résister à la désertification et de combattre la chaleur", assure-t-il.
"Il faut changer de modèle, c'est ça, la réalité"
Reste que l'Espagne s’interroge sur son modèle agricole. La consommation d’eau dans cette région dépasse souvent les ressources disponibles. L'agriculture intensive, très gourmande en eau, est pointée du doigt par Maria José Polo, hydrologue et professeur à l’université de Cordoue. "La situation est dramatique pour les eaux de surface comme les nappes phréatiques, car nous n'avons pas contrôlé l'augmentation de la consommation. Pas la consommation domestique, mais celle qui est essentielle en Espagne : l'irrigation. Elle représente 80% de la consommation d'eau en Espagne. On a agrandi les surfaces à irriguer et donc on utilise toujours plus d'eau. On ne plus croître, ce n'est pas soutenable : il faut changer de modèle, c'est ça, la réalité", insiste-t-elle.
Plusieurs pistes sont à l’étude, telle que diversifier la production ou miser sur des cultures plus économes en eau dans cette partie de l’Europe, l’une des plus affectées par le changement climatique.
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