Cet article date de plus d'un an.

Reportage
"Rien de ce qu’on nous avait promis ne s’est réalisé" : sept ans après, les grands regrets du Brexit pour ces Britanniques

En 2016, le Royaume-Uni votait à 52% pour la sortie de l'Union européenne. Depuis, de nombreuses voix se sont élevées pour faire part de regrets. Aujourd'hui, 60% des Britanniques estiment qu'il faudrait revenir en arrière.
Article rédigé par Richard Place
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Le bus du Brexit vantait qu'en sortant de l'UE, le royaume-Uni récupérerait 350 millions de livres par semaine pour financer l'hôpital public. C'était en 2016. (STR / EPA / VIA MAXPPP)

En juin 2016, les Britanniques votaient à une courte majorité (52%) la sortie de l'Union européenne. Le Brexit est donc effectif depuis janvier 2021, après une période dite de transition. Mais il ne fonctionne pas comme prévu et 60% des Britanniques veulent revenir dans l’Union européenne, selon le résultat d’un sondage publié la semaine dernière. Et toutes les enquêtes d’opinion vont dans ce sens depuis des mois. Les arguments de la campagne pro-Brexit s’appuyaient sur quelques points-clés. Il suffit de les confronter sept ans plus tard pour réaliser que, pour l’heure, c'est un échec.

L’immigration, un fiasco

Avec le Brexit, le pays allait reprendre le contrôle des frontières, en finir avec la passoire de l’espace Schengen. Quitter l’Union Européenne devait en effet permettre de faire tomber le solde migratoire, c’est-à-dire la différence entre ceux qui arrivent et ceux qui partent, à moins de 100 000 personnes par an. En 2022, ce total atteint 606 000. Du jamais vu.

Du jamais vu non plus, les traversées illégales de la Manche. Ces petits bateaux sur lesquels s’entassent des immigrés au péril de leur vie. Ils ont été plus de 45 000 l’année dernière. Là encore, un record.

>> REPORTAGE. Migrants : comment les autorités luttent-elles contre les réseaux de passeurs entre la France et l'Angleterre ?

Économiquement, des contrats... mais pas assez

Il fallait se libérer du marché unique européen et de ses règles pour passer des accords de libre-échange d’envergure, pour plus de business vers l’étranger. Résultat depuis le Brexit, il y a eu des signatures avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Liechtenstein, la Norvège et l’Islande. Et des négociations sont en cours avec l’Inde, Israël et le Mexique. L’accord avec l’Australie, le plus grand de ces pays, c’est 0,08% du PIB britannique. La perte à long terme de la sortie du marché commun européen s’élève à 4%.

La santé publique, un naufrage

Sur le bus tout rouge du Brexit, devenu célèbre ici, il était écrit en grosses lettres blanches : "Nous donnons 350 millions de livres sterling par semaine à l’Union européenne, donnons-les plutôt au NHS !", c’est-à-dire l’hôpital public. Les propres auteurs de ce slogan reconnaissent aujourd’hui qu’il était mensonger.

Sept ans plus tard, le NHS est dans une situation encore plus critique, notamment parce qu’il ne peut plus s’appuyer sur la main d’œuvre européenne. En juin 2016, quand le Brexit est voté, un peu moins de quatre millions patients attendent des soins face à des soignants débordés. Aujourd’hui, ils sont près de 7,5 millions.

Quelques avancées symboliques

Le Royaume-Uni tire des bénéfices mineurs du Brexit, à la marge. Par exemple, dans certains domaines, et encore pas partout, dans des exploitations agricoles, dans des bars, des hôtels… Les patrons, faute de main d’œuvre pas chère qui arrivait facilement d’Europe, ont été obligés d’augmenter les salaires pour séduire des Britanniques et de proposer de meilleures conditions de travail.

Dans certains restaurants, on utilise plus de produits locaux. Les importations sont compliquées et coûteuses, alors les professionnels vont donc s'approvisionner chez les producteurs à proximité. Et, au passage, on utilise plus de fruits et de légumes de saison. Mais, pour l’heure, cela reste symbolique. 

"On a même régressé"

Ce qui n'est pas symbolique, c’est la situation économique difficile dans laquelle se trouve le Royaume-Uni : inflation, pénuries récurrentes sur certains produits, coûts de l’énergie qui explosent… Des situations que l’on peut retrouver en Europe, mais ici elles sont systématiquement aggravées par le Brexit. Le pays est sorti de l’Europe il y a trois ans et demi et aujourd’hui, avec un tel bilan, une majorité se dit insatisfaite.

Dans la ville de Boston, au nord-est du pays, on croyait au Brexit. C’est là que le vote en faveur du Brexit était le plus haut : 75,6%. "Je ne vois vraiment aucun progrès, reconnaît Francis, l’un de ces Brexiters déterminés en 2016. On a même régressé ici. Dans le centre-ville, une douzaine de magasins ont fermé".

"Rien de ce qu’on nous avait promis ne s’est réalisé."

Francis, un Brexiter déçu

à franceinfo

"J’espérais que ça allait changer des choses, mais ça ne va pas dans le bon sens. Boston n’est plus la ville qu’elle a été", glisse Francis, qui se sent trahi et qui reconnaît en même temps qu’il ne sait pas trop ce qu’il attendait.

Dans le triste centre-ville de Boston où l'on avait voté à plus de 75% pour le Brexit. (RICHARD PLACE / RADIO FRANCE)

Un retour en arrière possible ?

C’est aussi ça le Brexit, à force de fausses promesses, chacun y a mis ce qu’il voulait : la fin de l’immigration, un souverainisme retrouvé, une économie débridée, plus d’emplois pour les Britanniques… Chacun y a pioché sa motivation. C’était un vote pour changer les choses, pour éviter le statu quo. Sans imaginer que les PME allaient souffrir d’un surplus de paperasses et de frais, que l’agriculture allait être bousculée par de nouveaux accords internationaux, que les universités allaient perdre des fonds importants et des capacités d’échanges.

Dans ces conditions, évidemment, une question se pose : le Royaume-Uni va-t-il demander à revenir dans l’Union Européenne ? "Nous en sommes à des années-lumière, dit le Professeur Tony Travers, politologue. Ça ne veut pas dire que ça ne pourrait pas arriver un jour. À moyen ou long terme, je pense que le Royaume-Uni et l’Europe, qui ont besoin l’un de l’autre, vont construire une relation plus rationnelle. Pour voyager, commercer, accéder librement aux marchés… Et les Britanniques accepteront quelques règles de l’Union européenne."

Professeur Tony Travers, politologue, le 19 juin 2023. (RICHARD PLACE / RADIO FRANCE)

Ce que dit Tony Travers est déjà en train d’arriver avec le gouvernement Sunak. L’actuel Premier ministre était un Brexiter et il ne compte pas revenir là-dessus. Mais il s’est rapproché de ses voisins européens, de la France en particulier, sur la question de la lutte contre l’immigration illégale, par exemple. Gérald Darmanin en déplacement à Londres la semaine dernière, reconnaissait lui-même qu’il est plus simple d’échanger avec Londres actuellement par rapport au gouvernement de Boris Johnson.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.