Royaume-Uni : comment le Parti conservateur s'est transformé en machine à perdre
L’histoire récente des conservateurs britanniques, c'est celle d'un parti qui s’effondre en seulement quatre ans. En décembre 2019, ils écrasaient les élections. Une majorité comme on n’en avait pas vu depuis 40 ans. Aujourd’hui, cette majorité se disloque et ressemble à une parfaite machine à perdre.
Ils ont 20 points de retard sur les travaillistes dans tous les sondages avant les élections de l’année prochaine. Ils ont eu trois Premiers ministres en quatre ans. Des crises à répétition au sein du parti. Juste avant le week-end, c’est le ministre en charge de l’Immigration qui a démissionné. Quelques jours plus tôt, sa collègue de l’Intérieur avait été limogée.
Erreurs et fausses promesses sur le système de santé
La situation dérape dès le début, en 2019. Au matin de la victoire, celui qui dirige le parti prononce un discours. Boris Johnson fixe le cap : "Qui que nous soyons, riche, pauvre, jeune, vieux. Les services de santé sont là pour nous. Et tous les jours, ils réalisent des miracles. C’est pourquoi, il s’agit pour ce gouvernement de la priorité absolue." Quatre mois plus tard, le Covid-19 submerge les hôpitaux britanniques. Johnson commet alors des erreurs qu’il a d’ailleurs reconnues mercredi 6 décembre devant une commission d’enquête.
Mais surtout, le NHS, le système de santé publique, est encore aujourd’hui débordé. Il y a près de huit millions de rendez-vous en retard. Des grèves historiques frappent le secteur. Des employés à bout de forces qui s’estiment mal payés. Dans son discours de victoire, Johnson avait rappelé un chiffre martelé pendant toute la campagne pour le Brexit : plus de 400 millions d’euros versés à l’Union européenne chaque semaine, qui devaient revenir aux hôpitaux. Cette somme était fausse et les services de santé n’en ont jamais vu la couleur.
Le mensonge comme péché mignon
Le mensonge est l’un des points qui coûtent cher aujourd’hui aux conservateurs. C'est le péché mignon de Boris Johnson. Toute sa carrière, il a menti, fait des promesses qu’il n’a pas tenues. Il secoue l’establishment dont il est issu, montre les muscles en permanence.
"C’est différent d’être un guérillero qui descend de la montagne pour tout casser puis retourner ensuite dans les collines, et être responsable d’un Etat", estime Andrew Gimson, qui a écrit plusieurs livres sur lui. "Il était un très mauvais patron pour les fonctionnaires. Il prenait une décision à 8h30 le matin. Puis à 10 heures, il disait l’inverse, simplement parce que quelqu’un avait avancé un nouvel argument. Les institutions ne peuvent pas marcher comme ça."
Fort de son écrasante victoire, Johnson s’est cru intouchable. Il a menti, changé d’avis, trahi, jusqu’à horripiler son propre camp qui l’a mis dehors il y a un an et demi. Derrière, l’éphémère Liz Truss a passé un mois et demi au pouvoir, avant d’être lâchée à son tour.
Le parti fracturé sur l'immigration irrégulière
Voilà donc Rishi Sunak aux commandes, qui lui aussi déplaît déjà dans son camp. Des élus conservateurs demandent son départ. James Blitz, fin connaisseur de la politique britannique, n’en revient pas. "L’idée que, dans notre pays, nous pouvons changer, encore une fois, de Premier ministre… Un quatrième Premier ministre en quatre ans ? C’est incroyable."
"La position des conservateurs est tellement terrible dans les sondages que des députés sont prêts à faire n’importe quoi pour essayer de commencer une nouvelle page."
James Blitz, analyste politiqueà franceinfo
Un sujet crispe particulièrement la majorité ces jours-ci : la lutte contre l’immigration irrégulière. Et un projet : celui d’envoyer des demandeurs d’asile vers le Rwanda. Londres a même déjà versé 280 millions d’euros aux autorités rwandaises, alors qu’aucun réfugié n’a été envoyé là-bas. La justice britannique a statué et déclaré cet accord caduc. Auparavant, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) s’y était aussi opposée.
Les travaillistes restent discrets
Parfait pour ceux qui trouvent leur Premier ministre pas assez ferme. Comme Suella Braverman, ministre de l’Intérieur qu’il a limogée pour avoir critiqué sa propre police, jugé trop timorée. "Où se trouve l’autorité suprême pour le Royaume-Uni ?", s'est-elle interrogée jeudi 7 décembre devant les députés. "Est-ce le peuple britannique ? Et les représentants qu’ils ont élus ? Ou dans le concept vague, changeant et inexplicable du droit international ?"
Dans le même temps, les travaillistes restent discrets. Ils se contentent de récupérer les intentions de vote. En 2019, leur leader, Jeremy Corbyn, était un épouvantail pour une bonne partie des électeurs, jugé beaucoup trop à gauche. Aujourd’hui, c’est Keir Starmer qui dirige le parti, il a écarté son prédécesseur. Beaucoup plus centriste, plus consensuel. Le Royaume-Uni se demande déjà quel Premier ministre il sera.
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