De quelle liberté disposent les humoristes au Canada, au Maroc et en Inde ?
Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Direction Montréal, Casablanca et New Delhi pour voir quelles sont limites à l'humour.
Se moquer de tout, sans tabou : tel est le défi lancé par France 2 à une vingtaine d'humoristes dans l'émission Rire contre le racisme, diffusée mardi 16 mars. Mais ce qui fait rire en France, serait-il apprécié et toléré ailleurs dans le monde ? Le club des correspondants s'arrête aujourd'hui au Canada, au Maroc et en Inde où les limites de la satire font débat.
Au Canada, humour ou humiliation ?
Au Canada, le 15 février dernier, la Cour suprême s’est penchée sur les éventuelles limites posées à l’humour. Ce dossier oppose l’humoriste québécois Mike Ward et un jeune garçon handicapé. Le droit de se moquer contre le droit à la dignité.
En 2010, Mike Ward s’était moqué en spectacle de Jérémy Gabriel, un jeune garçon atteint de malformations au visage, rendu célèbre pour avoir chanté devant le pape. Mike Ward s’était vu condamné à payer 35 000 dollars de dommages et intérêts. Mais il a tenu à porter cette affaire devant le plus haut tribunal du pays au nom de la liberté d’expression, dit-il.
1 joke que j’ai fait dans une tournée y a 10 ans. C’est vraiment de l’acharnement. https://t.co/rXrB5DLdzz
— Mike Ward (@MikeWardca) February 14, 2021
Devant la Cour suprême, l’avocat de l'association des professionnels de l'industrie de l'humour, Walid Hijazi, a évoqué une épée de Damoclès qui pèserait sur celle-ci : "Un effet de frilosité va nécessairement amener de l'auto censure. La perte de spontanéité, des filtres qui se multiplient". La défense du jeune homme parlait, elle, de discrimination : "Mike Ward a le droit de rire de Jérémy Gabriel. La notoriété expose à la satire mais Mike Wward n'avait pas le droit d'humilier Jérémy Gabriel sur la base de son handicap."
Le verdict sera rendu dans quelques mois et constituera un marqueur important. Car ce qui inquiète les humoristes, au Québec, c’est de voir la justice fixer les limites de l’humour. "Faut pas exagérer, on ne parle pas de Galilée ou de Salman Rushdie", a tenté de tempérer une des juges de la Cour Suprême. Certes, mais ne plus avoir le droit de rire de tout et de tout le monde est un dangereux précédent dans une démocratie, plaident les artistes.
Au Maroc, on peut rire... mais pas de la monarchie
Au Maroc, une émission de télévision algérienne a créé l’émoi. Une caricature du roi Mohamed VI a été diffusée mi février dans l’émission Week End Story de la chaîne algérienne Echourouk. Ce qui n’a pas arrangé les relations diplomatiques entre les deux pays maghrebins.
Le Maroc n'est pas très coutumier de la satire, encore moins lorsque celle-ci touche aux institutions du royaume. Alors lorsque la chaîne Echourouk a caricaturé le roi Mohamed VI, c’est une déferlante de protestations qui s’en est suivie. Sur les réseaux sociaux, ou encore chez les hommes politiques, on a demandé des excuses… Qui ne sont pas venues. D’autant que les tensions entre le Maroc et l’Algérie sont a leur comble actuellement depuis la reprise de contrôle du point de passage de Guerguarte par l’armée marocaine à la frontière mauritanienne.
Et pourtant y a bien eu des essais de conversion à l'humour satirique au Maghreb. Les Guignols de l’info de Canal+ ont été diffusés sur la chaîne tunisienne Nessma Tv dans la foulée des printemps arabes. L’émission avait soigneusement évité l’écueil de l’atteinte aux chefs d’États. Seuls les hommes politiques avaient leur marionnette, pas le roi. Et là ça faisait rire, mais Les Guignols Maghreb n’auront pas duré plus de quelques saisons. En 2016, Nessma annonçait leur grand retour, qu’on attend toujours.
En revanche, la pratique de la caricature de presse existe bel et bien au Maghreb. Elle a été rendue célèbre par les coups de crayons des caricaturistes algériens Dilem ou encore Le Hic. Et il faut bien l’avouer, la caricature de presse est plus incisive en Algérie qu’au Maroc. Au royaume marocain, la sacralité des institutions est inscrite dans la constitution. En 2012, un jeune dessinateur, Walid Bahomane avait écopé d’un an de prison ferme pour avoir représenté le souverain marocain sous forme de trou de serrure.
En Inde, les humoristes sous la pression des nationalistes hindous
La critique et la dérision sont de moins en moins tolérées en Inde, et même parfois sévèrement réprimées. Plusieurs humoristes ont terminé en prison pour avoir osé se moquer d’élus ou de la religion. Le cas le plus récent est survenu le 1er janvier dernier dans la ville d’Indore, au centre du pays. Munawar Faruqui, un humoriste de 29 ans, n’a alors pas le temps de terminer son spectacle que des militants hindouistes lui tombent dessus et l’emmènent, avec cinq autres comédiens, au poste de police. Ces militants lui reprochent d’avoir fait des remarques indécentes sur le ministre de l’Intérieur et sur les dieux hindous, un fait certainement agravé par le fait que Munawar Faruqui est musulman.
Ce comédien est inculpé pour "avoir heurté les sentiments religieux" des plaignants, un article du code pénal largement utilisé par le parti nationaliste hindou au pouvoir. L’humoriste, quant à lui, a passé un mois en détention provisoire, et n’a pu être libéré sous caution qu’après l’intervention de la Cour suprême. Le métier d’humoriste est donc périlleux en Inde.
How an Indian stand up comic found himself arrested for a joke he didn’t tell https://t.co/hylU6pm2ho
— TIME (@TIME) February 11, 2021
Ceux qui ne se font pas arrêter sont harcelés sur internet, lors de campagnes coordonnées menées par les réseaux hindouistes. Dans cette société indienne patriarcale, les femmes comédiennes sont particulièrement visées et menacées de viol. Des menaces souvent lancées à visage découvert, comme c’est arrivé l’année dernière contre la jeune Agrima Joshua. À chaque fois, l’argument est le même : "vous avez heurté mes sentiments religieux en vous moquant de l’hindouisme". La police, sous les ordres des nationalistes hindous, agit timidement contre ce harcèlement, alors que les humoristes, eux, doivent souvent se cacher par peur d’être attaqués chez eux.
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