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Guerre en Ukraine : en Espagne et en Suisse, la chasse aux oligarques russes est ouverte

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui direction Madrid et Genève où les biens et activités des oligarques russes sont visés par les autorités.

Article rédigé par franceinfo, Mathieu de Taillac - Jérémie Lanche
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Le yacht "Valérie", saisi par les autorités espagnoles, ici dans le port de Barcelone, le 15 mars 2022. (LLUIS GENE / AFP)

Les ministres de l'Union européenne se sont réunis à Bruxelles, lundi 21 et mardi 22 mars, pour discuter de nouvelles sanctions contre la Russie. Quatre salves de mesures ont déjà été votées par l'UE depuis le début de la guerre en Ukraine. En parallèle, certains pays européens prennent des mesures à titre individuel comme l'Espagne et la Suisse. Les autorités visent des oligarques russes, ces hommes d'affaires proches du pouvoir.

Le Premier ministre espagnol s'attaque aux yachts russes

Les oligarques russes voient leurs intérêts attaqués en Espagne et la mesure la plus spectaculaire, c’est la saisie des yachts. Les autorités espagnoles s’intéressent de très près à ces bateaux de luxe, à tel point que le chef du gouvernement lui même, Pedro Sanchez, a annoncé une saisie lors d’une interview en direct.

C’était il y a huit jours, le Premier ministre espagnol annonçait sur la chaine télé La Sexta l’immobilisation dans le port de Barcelone du Valérie, un yacht de 85 mètres de long et 140 millions d'euros. Selon lui, le navire de luxe est la propriété de Sergueï Tchemezov, compagnon de Poutine au KGB et actuellement à la tête de l'entreprise publique Rostec. Des allégations que vont tenter de vérifier les autorités en démêlant la structure en multiples sociétés écrans qui entoure le bateau.

>> Guerre en Ukraine : ce que l'on sait des biens des oligarques russes gelés ou saisis à l’étranger

Dans le même genre, le Lady Anastasia, immobilisé à Majorque et soupçonné d’appartenir à Alexander Mijeev, directeur général de RosoboroNexport, un marchand d’armes. Ou encore Le Crescent, bloqué à Taragone qui appartiendrait à Igor Setchine, directeur exécutif du groupe pétrolier Rosneft et ex-collaborateur de Vladimir Poutine. Et puis il y a des oligarques qui ont éloigné leurs bateaux des ports espagnols avant de se faire prendre. Román Abramóvich, par exemple, le propriétaire de Chelsea. My Solaris est parti de Barcelone le 8 mars, cap sur le Montenegro.

Mais toutes les propriétés des oligarques ne peuvent pas prendre le large et les autorités espagnoles ont d'autres moyens de pression. Tchemezov, par exemple, le propriétaire du Valérie, possède aussi une villa à 15 millions sur la Costa Brava.

Arkadi Rotenberg, aussi, ami personnel de Poutine et fournisseur habituel du Kremlin, a une propriété du côté d’Alicante. Et puis, il y a les golden visas, ces permis de séjour accordés contre un investissement immobilier. Près de 6 000 ont été accordés à des citoyens russes depuis l’implantation de la formule en Espagne en 2013. Madrid n’a pas éliminé les golden visas accordés aux Russes contrairement au Portugal.

Cette chasse aux oligarques ne convient pas à tout le monde en Espagne. Certains secteurs vont devoir apprendre à faire sans les Russes. Les ports spécialisés dans la garde et l’entretien des yachts, par exemple, en Catalogne et aux Baléares, notamment.

Et puis, oligarque ou pas, le touriste russe dépense beaucoup. Dans la région de Valence, les ressortissants russes dépensent en moyenne 1 300 euros par semaine. Il y a donc évidemment des secteurs lésés par les sanctions, mais on ne les entend pas beaucoup. En dehors d’une hostilité à l’OTAN à la gauche de la gauche, l’Espagne est assez unanime sur les mesures économiques qui visent la Russie et ses oligarques.

En Suisse, les négociants en pétrole doivent désormais "ruser"

Parmi les pays européens qui attirent – ou attiraient – le plus les oligarques russes, il y a la Suisse. Leurs intérêts se comptent moins en yachts et autres villas de luxe qu'en numéros de compte. Des comptes bien alimentés par le négoce des matières premières. La Suisse n'a pas de pétrole mais c'est pourtant à Genève que l'or noir russe s'échange sur les marchés. On estime que 60 à 80% du brut venu de Russie se vend depuis la capitale suisse.

Vitol, Trafigura ou encore Glencore. Ces noms ne vous disent sans doute rien. Mais ce sont des géants du négoce des matières premières. Ils sont aujourd'hui sommés de prendre leur distance avec la Russie, officiellement, en tout cas, explique Adria Budry, enquêteur pour l'ONG suisse Public : "Ils ont été tous très prompts à dénoncer la guerre, la violence, à dire qu'ils allaient geler leurs investissements mais ils n'ont pas mentionné l'achat et la vente de pétrole russe."

"Ce n'est pas interdit de vendre ou d'acheter du pétrole russe, c'est juste que c'est plus difficile de le faire parce que vous trouvez moins de banques qui acceptent de vous financer, moins d'assurances. Du coup, il faut ruser".

Adria Budry

à franceinfo

Certaines de ces sociétés sont très clairement liées à l'État russe. C'est le cas de Litasco, qui est la filiale du pétrolier russe Lukoil. On peut également parler de Gunvor. La société a été fondée par Gennady Timchenko, un oligarque réputé très proche de Vladimir Poutine. Il possède une immense villa dans l'un des quartiers les plus chics de Genève.

Ces villas de luxe sont la face immergée de l'iceberg des intérêts des oligarques en Suisse. Dans le genre, la villa d'Andrei Melnichenko dans la station de Saint-Moritz n'est pas mal non plus. Mais cet oligarque possède surtout en Suisse le leader mondial des fertilisants Eurochem. Le problème dit Adrià Budry, c'est que Melnichenko, et d'autres, ont sans doute eu le temps de retirer tous leurs avoirs du pays avant l'entrée en vigueur des sanctions : "La Suisse a appliqué la première salve de sanctions avec quatre jours de retard, la deuxième avec sept jours de retard, ce qui permet éventuellement de se désengager, de mettre telle propriété au nom d'un fils, ce n'est plus un problème légal mais un problème de réputation."

Il faut aussi mentionner le rôle joué par les grandes banques suisses qui ont accordé pour plusieurs centaines de millions de dollars de crédits aux sociétés de négoce, aux pétroliers russes et in fine aux oligarques. Ces derniers le leur rendent bien. On estime qu'un dollar sur trois détenu à l'étranger par les entreprises et les particuliers russes est hébergé quelque part sur des comptes en Suisse. 

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