L'influence russe en Géorgie et en Moldavie

En Géorgie, des manifestants dénoncent un projet de loi sur l'"influence étrangère", comparé à une loi russe répressive sur les "agents de l'étranger". Et en Moldavie, ce sont de puissants et influents oligarques qui sont accusés de financements illégaux visant à promouvoir les intérêts de la Russie.
Article rédigé par franceinfo - Régis Genté et Maria Gerth-Niculescu
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Des manifestants protestent contre un projet de loi sur l'influence étrangère, qu'ils comparent à une loi russe, à Tbilissi, en Géorgie, le 16 avril 2024. (VANO SHLAMOV / AFP)

Après la découverte d'un réseau d'influence financé par Moscou et ciblant le Parlement européen, les eurodéputés ont appelé jeudi 25 avril à la vigilance et à la fermeté face aux ingérences étrangères. Le Club des Correspondants s'intéresse à l'influence de la Russie dans deux pays en particulier : la Géorgie et la Moldavie. Deux pays qui ont présenté des demandes d'adhésion à l'Union européenne.

La capitale géorgienne a connu des manifestations massives, la semaine du 15 avril, contre l'intention du parti au pouvoir de faire adopter une loi censée lutter contre "l'influence étrangère", mais que l'opposition dénonce comme une copie de la législation qui, en Russie, a permis au Kremlin d'étouffer toute contradiction.

En Moldavie, la police a annoncé mardi 23 avril avoir saisi l'équivalent de plus d'un million d'euros sur quelque 150 partisans pro-russes de l'opposition, de retour d'une réunion à Moscou et soupçonnés de "participation à un système de financement illégal" en amont de la présidentielle. Dans ce pays, la Russie peut compter sur plusieurs personnalités politiques moldaves, dont certaines sont aujourd'hui très influentes.

Géorgie : les manifestants disent "non à la loi russe"

La Géorgie est secouée depuis le début du mois d'avril 2024 par des manifestations contre un projet de loi sur "la transparence de l'influence étrangère". Une loi qui est manifestement inspirée d'une loi russe, selon les opposants. Cette loi vise à stigmatiser les organisations de la société civile et les médias en les obligeant à se déclarer "agents de l'étranger", si plus de 20% de leur budget provient de sources étrangères. Or, dans un pays comme la Géorgie, pauvre, seules des subventions permettent de vivre à ces organisations.

Ces subventions viennent dans leur immense majorité de l'Occident. Ce ne sont pas les Russes ou les Chinois qui vont les aider. Or, cette société civile et ces médias jouent vraiment un rôle pour établir une société qui défend ses droits, face au pouvoir, quel qu'il soit. Bon nombre d'ONG qui étaient très critiques du gouvernement sous les mandats du très pro-occidental président Saakachvili, entre 2004 et 2012, continuent aujourd'hui à jouer leur rôle de contre-pouvoir.

"Le Rêve géorgien", le parti au pouvoir, jugé pro-russe

"Non à la loi russe", c'est vraiment le slogan qui s'est imposé dans les rues de la capitale géorgienne, Tbilissi, la semaine dernière. Et pas seulement parce que la loi est inspirée de la loi russe de 2012. Mais aussi parce qu'ils savent que la question de l'influence étrangère est instrumentalisée, que ce dont il est question au fond, c'est que cette loi devienne la base d'un autoritarisme inspiré du régime de Vladimir Poutine. C'est en ce sens qu'ils parlent de "loi russe".

Le forcing pour faire adopter cette loi de la part du Rêve géorgien, le parti au pouvoir de l'oligarque Bidzina Ivanichvili, s'accompagne de toute une rhétorique sur les valeurs traditionnelles et le refus de ce qu'il appelle, comme en Russie, la propagande homosexuelle. Ces questions de mœurs sont un autre pilier de l'autoritarisme qui se cache derrière cette loi. Ce n'est pas d'influence étrangère qu'il y est question, mais de la seule influence de l'Occident. Alors que 85% des 3,7 millions de Géorgiens disent vouloir devenir membre de l'Union européenne.

Moldavie : un million d'euros saisis à un oligarque pro-russe

En Moldavie, les forces de l'ordre ont annoncé la saisine de plus d'un million d'euros à l'Aéroport de Chisinau, la capitale, dans la nuit du lundi 22 avril au mardi 23 avril. Ces sommes étaient réparties entre plusieurs passagers arrivés de Russie après un rassemblement des partis d'opposition pro-russe à Moscou. L'oligarque fugitif Ilan Shor y a lancé une coalition politique intitulée "Victoire". Ses membres sont accusés de financements illégaux visant à promouvoir les intérêts de la Russie. Une ingérence maintes fois dénoncée par le gouvernement de Chisinau, qui accuse la Russie de mener une guerre hybride sur son territoire.

Et la Russie peut compter sur plusieurs personnalités politiques moldaves, dont certaines sont aujourd'hui très influentes. C'est le cas de l'oligarque Ilan Sor, qui a fui la Moldavie après une condamnation à 15 ans de prison, mais qui contrôle toujours plusieurs partis politiques dans le pays. Il faut mentionner également la gouverneure de la région autonome de Gagaouzie, Evghenia Gutul, qui se rend régulièrement à Moscou et a récemment publié une photo d'elle avec Vladimir Poutine.

"Ils ont utilisé ces personnes comme des courriers"

Pour convaincre leur électorat, les opposants pro-russes sont accusés d'utiliser des méthodes illégales : corruption de l'électorat, rémunération de participants lors de manifestations, ou encore financements illégaux de partis. L'incident à l'aéroport en début de semaine, au cours duquel plus d'un million d'euros ont été saisis, doit être vu dans ce contexte. Les passagers concernés revenaient de Russie, où Ilan Shor a lancé une nouvelle coalition politique. "Ils ont utilisé ces personnes comme des courriers, c'est une des combines utilisées par la Russie", selon Andrei Curararu, cofondateur de l'ONG WatchDog et expert en politiques publiques. "Souvent, les personnes arrivent avec des sommes qui ne les obligent pas à se déclarer à la douane et elles échappent ainsi à tout contrôle. Un autre exemple de combine est l'utilisation d'une plateforme appelée People, qui permet de transférer anonymement des montants limités, et qui a été activement utilisée", explique Andrei Curararu.

Car la Moldavie est en pleine année électorale. Le 20 octobre prochain se tiendront non seulement l'élection présidentielle mais aussi un référendum sur l'adhésion à l'Union européenne. Si les sondages sont pour l'instant favorables à la Présidente actuelle Maia Sandu et à son élan européen, la Russie voit évidemment d'un mauvais œil ce rapprochement avec l'Union européenne. Actuellement, on observe une campagne agressive en Gagaouzie et ailleurs dans le pays pour appeler au boycott du référendum. Si moins de 33% de l'électorat participe, le référendum sera invalidé. Désinformation, campagnes de dénigrement, mobilisation des minorités ethniques, tout semble permis pour freiner le processus. À plus long terme, il s'agit évidemment aussi pour la Russie de maintenir un pied idéologique et économique en Moldavie, ancienne république soviétique située entre l'Ukraine et la Roumanie. 

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