L'Union européenne veut lutter contre le travail forcé : focus sur la Malaisie et le Mexique
Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, l'Union européenne propose de bannir les produits qui viennent notamment de l'exploitation des Ouïghours par la Chine. Mais le travail forcé concerne aussi d'autres régions du monde.
La Commission européenne s'en prend au travail forcé. Elle a présenté cette semaine un texte qui interdirait sur le territoire les produits issus de ce travail forcé, par exemple ceux qui viennent de l'exploitation des Ouïghours par la Chine. Les eurodéputés écologistes estiment que cette idée ne va pas assez loin.
Cette interdiction est prévue pour s'appliquer aux produits pour lesquels le travail forcé a été utilisé à n'importe quel stade de leur production. Une mesure saluée par les écologistes, mais qui pourrait être encore plus contraignante, explique le député européen Yannick Jadot, qui aimerait que l'Europe prenne exemple sur les États-Unis et leurs sanctions : "La force du système américain, c'est qu'à partir du moment ou une région est suspectée d'avoir du travail forcé, il y a interdiction."
Interdire notamment les produits made in China ou en RDC République de Chine issue du travail forcé. Dilnur Reyhan, présidente de l'Institut ouïghoure d'Europe, ne dit pas autre chose. Elle estime même que ce sont des secteurs entiers qui devraient être concernés par ces interdictions : "Il y a des secteurs les plus concernés, comme le secteur textile, étant donné que 87% du coton provient de la région ouïghoure et qu'il fournit 20% du coton mondial. Il y a aussi les secteurs de télécommunications comme les grandes marques, comme Huawei, ou encore Apple. Donc on peut viser aussi par secteur à mon avis."
Le travail forcé ne concerne pas que la Chine et les Ouïghours, 25 à 30 millions de personnes seraient concernées dans le monde par le sujet. Directions l'Asie du sud-est et l'amérique centrale.
En Malaisie, une production de gants en plastique pointée du doigt
L’Asie Pacifique est de loin la région du monde où l’on trouve le plus de personnes victimes de travail forcé et d’esclavage moderne révèle l’Organisation mondiale du travail. Dans cette zone la Malaisie en particulier se retrouve régulièrement incriminée. Il s'agit un peu d'un marronnier de la presse dans le pays, régulièrement telle ou telle entreprise se retrouve dans la liste noire des douanes américaines après des preuves ou suspicions de travail forcé.
Si en France, on entend souvent parler de travail forcé pour des industries dont les citoyens sont directement consommateurs comme les smartphones, l’habillement ou bien l’huile de palme, il y a une une industrie malaisienne qui a pour premier client des marchés publics et qui est particulièrement scrutée depuis l’arrivée du coronavirus : celle des gants médicaux en caoutchouc. Dans le monde, les deux tiers sont fabriqués en Malaisie. Avec le Covid-19, la demande a explosé alors que dans les usines les conditions des travailleurs, souvent bangladais ou népalais, ont empiré. Les quatre géants malaisiens du gant médical (Top Glove, Hartalega, Supermax et Kossan ) responsables à eux seuls de plus de la moitié du marché mondial, se sont tous retrouvés incriminés.
Ces révélations ne sont pas reçues de la même façon chez les pays qui importent des gants malaisiens. Aux États-Unis, plusieurs géants de cette industrie ont été interdits d’importation. En Grande Bretagne, une plainte contre le gouvernement a été déposée visant justement l’utilisation par les hôpitaux publics de gants caoutchoucs provenant de fournisseurs malaisiens incriminés. Jusque-là, la France, elle, a plutôt fait l’autruche. Il faut dire qu’il y a très peu de transparence sur la provenance des gants médicaux en France. En 2021, la minitre de l'Industrie de l'époque, Agnès Pannier-Runacher, reconnaissait toutefois qu’il y avait un souci avec les gants médicaux malaisiens, mais pas nécessairement celui du travail forcé, puisque la ministre évoquait seulement des prix en hausse et des risques de rupture d’approvisionnement.
Pour ne plus dépendre de ces gants malaisiens plusieurs solutions sont avancées. En 2021, le gouvernement français était fier d’annoncer la construction d’une usine dans la Sarthe censée produire des gants pour le marché français dès 2022. Cependant, pour l’instant l’usine n’est toujours pas en fonctionnement, et il reste difficile de savoir si elle sera privilégiée par les marchés publics qui ont tendance à opérer selon la logique du moindre coût. Enfin, le nombre de gants que pourrait produire à terme cette usine, soit 1,5 milliard par an, ne serait sans doute pas suffisant pour le marché français, car si l’on compare par exemple ce nombre avec les chiffres concernant l’importation des gants en France, on passe du simple au double. Si l’on se fie aux données de la Banque mondiale, la France a importé en 2019 plus de 21 millions de kilos de gants médicaux (dont plus de la moitié provenait de Malaisie). Or selon les normes industrielles, un kilo de gants correspond généralement à 200 gants.
Au Mexique, le travail forcé est extrêmement répandu
Au Mexique, le travail forcé concerne aussi bien les Mexicains les plus pauvres que les migrants provenant d’Amérique centrale. Cette pratique s’étend à de nombreux secteurs de l’économie, comme l’agriculture, l’industrie minière, le travail domestique et le tourisme pour n’en citer que quelques-uns. Les autorités mexicaines consacrent trop peu de moyens pour lutter contre le travail forcé. Le cas des journaliers forcés d’effectuer d’interminables journées de travail dans les champs retient particulièrement l’attention des autorités. En effet, et c’est le cas depuis plusieurs décennies, le travail forcé est extrêmement répandu dans les champs notamment dans le nord du pays mais aussi dans les cultures de café et de canne à sucre. Les journaliers proviennent des régions les plus pauvres du Mexique et ils émigrent vers les zones agricoles, où bien souvent ils sont reclus dans des conditions inhumaines, entassés dans des logements insalubres.
Les employeurs les forcent à travailler en utilisant principalement deux mécanismes : soit ils les réduisent en servitude en prenant en charge leurs dettes, soit ils retiennent leurs salaires pour les obliger à terminer un cycle de récoltes et menacent de ne jamais les payer s’ils ne restent pas durant une période qui peut s’éterniser. Les migrants provenant d’Amérique centrale qui traversent le Mexique sont aussi très exposés au travail forcé et à l’esclavage dans les champs. Les cartels visent aussi les migrants pour les enrôler dans des activités illicites, qu’il s’agisse du trafic de drogue ou du travail dans les champs de pavot à opium…
Les efforts déployés par le gouvernement mexicain pour lutter contre le travail forcés sont limités.
En août 2022, le département d’État américain émettait un rapport sur l’incapacité du Mexique à remplir les critères pour éradiquer le travail forcé et la traite des personnes qui sont inclus dans l’Accord de libre-échange d’Amérique du Nord. Quand bien même les inspections de travail détectent ce type de pratique, il y a trop peu d’enquêtes judiciaires qui sont menées et de sanctions à l’encontre des employeurs. En 2021, il y a eu 35 enquêtes fédérales au Mexique concernant des cas de traite et de travail forcé, contre 133 enquêtes deux ans plus tôt. La protection des victimes est aussi insuffisante, dans la mesure où elles restent exposées à ces pratiques malgré l’action des autorités. Les moyens alloués par le gouvernement à la lutte contre le travail forcé sont de plus en plus faibles et la corruption de certaines autorités favorise la persistance de ces abus.
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