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La Hongrie et la Turquie à l'heure de l'inflation

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qu'il se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, direction la Turquie et la Hongrie, deux pays qui appréhendent chacun à leur manière la problématique de l'inflation.

Article rédigé par franceinfo - Anne Andlauer et Florence La Bruyère
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Viktor Orban, le 1er février 2022, à Moscou. (YURI KOCHETKOV / POOL)

En Turquie et en Hongrie, l’inflation galope : 48,7% sur un an pour la première, +7,4% sur un an pour la seconde. Un choix pour les Turcs, qui misent sur une livre faible pour stimuler les exportations et soutenir la croissance, mais une situation subie, pour les Hongrois, dont le gouvernement a décidé de plafonner les prix de certaines denrées de base.

En Turquie, un pari économique et politique

Les chiffres pour janvier annoncés jeudi 3 février placent la hausse des prix à la consommation à 48,7% sur un an. Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants qu’il s’agit de chiffres officiels, contestés par l’opposition et des économistes. Quelques minutes avant l’annonce des chiffres officiels, le Groupe de recherche sur l’inflation, un groupe d’économistes indépendants, publiait comme chaque mois ses propres estimations, évaluant la hausse des prix à 115% sur un an. L’opposition accuse l’agence nationale des statistiques de sous-estimer l’inflation sous pression politique. Et pour cause : il y a quelques jours, le président Erdogan a limogé le dirigeant de cette institution, qui avait publié le mois dernier un taux d’inflation de 36% sur un an, ce qui était déjà un record depuis 2002 et l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan.

Pour la population turque, c'est un choc de pouvoir d'achat quasi quotidien et les habitants d’Istanbul, la capitale économique, n’ont même pas besoin de regarder les étiquettes pour sentir à quel point l’inflation est forte et à quel point les gens en souffrent : ils ne parlent quasiment que de cela. Certains commerçants se sentent même obligés de se justifier auprès de leurs clients, en détaillant la hausse de leurs coûts pour expliquer la hausse de leurs prix. À commencer par ceux de l’énergie : les tarifs de l’électricité ont bondi de 130% pour la plupart des ménages au 1er janvier.

Aux racines de cette inflation, il y a un double pari économique et politique : si les prix ont tant augmenté, c’est en grande partie sous l’effet de la chute de la livre turque, elle-même due aux choix de politique monétaire du président. Depuis septembre, Recep Tayyip Erdogan a obligé la banque centrale – dont il a limogé trois gouverneurs en deux ans – à des baisses successives de son principal taux. À chaque baisse, la livre a dévissé, perdant près de 50 % de sa valeur par rapport au dollar en un an. Recep Tayyip Erdogan parie sur une livre faible pour stimuler les exportations et soutenir la croissance. Sauf que dans une économie dépendante des importations, la chute de la monnaie entraine une hausse des prix de tous les produits importés – énergie et matières premières comprises.

Le gouvernement dit aux Turcs :"Le début de l’année va être compliqué, en attendant, on vous donne un coup de pouce : le salaire minimum vient d’augmenter de 50 %. Mais vous verrez, d’ici l’été, l’inflation aura déjà bien ralenti…" C’est un pari économique, qui est aussi un pari politique : la cote de popularité du président est au plus bas et son modèle doit donc faire ses preuves avant les élections, programmées dans moins d’un an et demi.

Viktor Orban décide de plafonner certains prix

En Hongrie, pour lutter contre l’inflation galopante, +7,4% sur un an, le gouvernement a décidé de plafonner les prix de certaines denrées de base : la farine, le sucre, l’huile de tournesol, le blanc et la carcasse de poulet, et la rouelle de porc. Ces produits doivent être vendus au prix où ils étaient le 15 octobre dernier. Mais pas plus cher. Et ce, pendant trois mois, jusqu’au 1er mai prochain. Le gouvernement veut essayer d’endiguer l’inflation, qui pour certains produits, est à deux chiffres : en octobre dernier, l’huile de tournesol avait augmenté de 33% sur un an !

Agota, ancienne ingénieure, gagne une petite retraite, environ 400 euros. Malgré l’hiver glacial, elle fait ses courses en chaussures d’été, car c’est sa seule paire de chaussures. Elle applaudit cette mesure gouvernementale : "C’est tout à fait normal qu’un gouvernement fasse ça. Regardez comme la vie est chère en Europe de l’Ouest ; ici on est mieux lotis. La liberté des prix, c’est bon pour les riches, pas pour les autres !" À quelques semaines des législatives du 3 avril, le gel des prix est un cadeau pour les petits retraités, qui forment le noyau dur de l’électorat de Viktor Orban. Cette mesure séduit certains Hongrois, mais pour d’autres, ce n’est pas assez, comme l’explique cette retraitée : "C’est trompeur, dans trois mois, les prix augmenteront à nouveau ! Et cela ne concerne pas le fromage blanc, la viande, le pain… Certains produits ont augmenté de 20% ! Alors que la hausse des retraites n’est que de 5%. Une fois que j’ai payé mes médicaments et les factures d’énergie, il me reste juste un peu pour manger. On ne peut pas vivre avec ça !"

Ce ne sont pas les commerces et les supermarchés qui perdront forcément le plus d’argent : la mesure est en trompe-l’œil. En effet, depuis le 15 octobre dernier, certains produits ont peu augmenté. Certains comme la viande de porc, sont même moins chers. Et puis, si les grandes surfaces sont obligées de baisser les prix de certains articles, elles se rattraperont en faisant valser les étiquettes sur d’autres produits. Cela ne va pas vraiment augmenter le pouvoir d’achat des Hongrois. Mais c’est une excellente opération de communication. Dans tous les supermarchés, on voit une affiche avec le slogan gouvernemental imprimé en rouge : "Stop aux prix." Une manière astucieuse d’obliger les commerces à faire de la publicité pour le gouvernement.

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