La loi controversée qui permet au Royaume-Uni d'expulser des migrants vers le Rwanda, crée des tensions entre Londres et Dublin
Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a misé tout son capital politique sur l'immigration. Son objectif : mettre un terme aux traversées clandestines de la Manche et délocaliser le système d'asile au Rwanda. Annoncée en 2022 par son gouvernement conservateur et présentée comme un élément clé de sa politique de lutte contre l'immigration clandestine, la "loi Rwanda" est entrée en vigueur le 23 avril 2024. Cette mesure vise à envoyer au Rwanda les migrants arrivés illégalement sur le territoire, quel que soit leur pays d'origine.
L'Irlande dénonce déjà une augmentation des arrivées illégales sur son territoire, via la frontière avec l'Irlande du Nord. Bien loin d'y voir une crise diplomatique, Rishi Sunak s'est félicité, dimanche 28 avril de ces arrivées en Irlande, la preuve, selon lui, que la loi fonctionne. Mais ce commentaire a déplu au Premier ministre irlandais : "L'Irlande ne fournira pas d'échappatoire aux défis migratoires du Royaume-Uni", a répliqué Simon Harris, le chef du gouvernement irlandais.
Royaume-Uni : le Premier ministre campe sur ses positions
Le Premier ministre britannique est toujours très enclin à s'auto-congratuler et de toute façon, il a misé tellement gros sur le "projet Rwanda" qu'il ne peut que se féliciter. Mais selon lui, les déclarations de la ministre irlandaise de la Justice sont le signe qu'il a raison. Interviewé dimanche 28 avril sur la chaîne Sky News, Rishi Sunak a déclaré : "Ce qui m'importe, c'est le Royaume-Uni et la sécurité de nos frontières. Mais ces déclarations montrent deux choses. Premièrement, que l'immigration illégale est un défi mondial. C'est pourquoi de plus en plus de pays envisagent de recourir à des partenariats avec des pays tiers et vont imiter le Royaume-Uni. Cela montre aussi que la dissuasion commence déjà à fonctionner : les gens s'inquiètent de venir ici. S'ils savent qu'ils ne pourront pas rester après être venus illégalement, ils sont bien moins susceptibles de venir", conclut le Premier ministre britannique.
Pour l'instant, hors de question pour Londres de "reprendre" les migrants arrivés illégalement en Irlande tant que la France n'acceptera pas le retour de ceux qui ont traversé la Manche. In fine, l'objectif est de faire cesser ces traversées, souvent très dangereuses. Sur ce point, il n'y a pas d'effet "loi Rwanda". La semaine dernière, le rythme des traversées de la Manche n'a pas particulièrement ralenti – d'ailleurs, cinq personnes sont mortes en mer lundi dernier, dont une petite fille. Depuis le début de l'année 2024, le nombre d'arrivées sur les côtes anglaises a d'ailleurs augmenté à nouveau, après une baisse en 2023. D'après le ministère de l'Intérieur britannique, ce sont principalement des migrants vietnamiens. Le gouvernement a lancé, plus tôt cette année, des campagnes de communication sur les réseaux sociaux, au Vietnam, pour dissuader les candidats d'entreprendre le voyage.
L'opinion britannique divisée
Pour accélérer l'effet dissuasif de la loi Rwanda, l'exécutif lance d'ailleurs ce lundi 29 avril une vaste opération d'arrestation et de détention des migrants en situation irrégulière pour pouvoir rapidement les placer à bord d'un avion direction Kigali. Cette politique migratoire est perçue, au Royaume-Uni, comme une avancée majeure par la frange droite de la majorité conservatrice, pour reprendre le contrôle des frontières. Mais, elle est vue comme une régression pour l'opposition travailliste, une partie de la chambre des Lords et les ONG de défense des migrants. Ils dénoncent une approche inhumaine et surtout contraire aux engagements internationaux d'accueil et d'asile. Quant à la société britannique, selon les sondeurs de YouGov, il y a autant de Britanniques pour que contre la politique migratoire de Rishi Sunak.
Irlande : le gouvernement veut légiférer en urgence
"L'Irlande ne fournira pas d'échappatoire aux défis migratoires du Royaume-Uni", a lancé dimanche 28 avril Simon Harris, le chef du gouvernement irlandais. Les autorités irlandaises ont en effet constaté une augmentation des arrivées d'étrangers en situation irrégulière, depuis l'Irlande du Nord. Selon les dernières estimations, 80% des arrivées récentes en République d'Irlande, se font via la frontière avec la province britannique. Des chiffres qui pourraient donc s'expliquer par la crainte des migrants d'être expédiés au Rwanda, dans les prochaines semaines.
Face à cet afflux, l'Irlande entend légiférer en urgence, pour pouvoir renvoyer les migrants vers le Royaume-Uni, a annoncé Simon Harris dimanche. La ministre de la Justice, Helen McEntee, présentera mardi 30 avril 2024 des propositions législatives visant à mettre en place une nouvelle politique de retour. Ce qui inquiète évidemment le Conseil irlandais pour les réfugiés. Ce projet de loi survient seulement quelques jours après un autre projet du gouvernement pour accélérer le retour des demandeurs d'asile en provenance du Nigeria, après justement une augmentation des demandes, dont beaucoup proviendraient du Royaume-Uni.
Toujours d'après Helen McEntee, l'augmentation du nombre de migrants arrivant du Nord au cours des derniers mois serait aussi liée aux conséquences d'une frontière "ouverte" entre Irlande du Nord et République d'Irlande. Depuis le Brexit, cette frontière est effectivement ouverte, avec peu de contrôles d'immigration. Une condition clé de l'accord, car l'idée était d'éviter de créer des tensions entre les deux parties de l'île, compte tenu de son histoire sanglante.
Tensions entre Belfast et Dublin
Les tensions sont, en tout cas, bien réelles, à présent, entre Londres et Dublin. La ministre de la Justice en Irlande a annoncé se retirer d'une conférence anglo-irlandaise, qui devait avoir lieu ce lundi 29 avril. Sa décision fait suite à l'annulation d'une réunion qu'elle devait avoir juste avant avec le ministre de l'Intérieur britannique, qu'il a reportée à la dernière minute dimanche soir. Il semble aussi y avoir des tensions avec Belfast qui n'aurait reçu aucun contact de Dublin, concernant les demandeurs d'asile traversant la frontière vers la République. Pour Michelle O'Neill, la Première ministre d'Irlande du Nord, ce manque de contact souligne à quel point le gouvernement irlandais est désorganisé face à la question migratoire.
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