Retrait des troupes françaises du Mali : entre satisfaction et réorganisation, au Burkina Faso et en Côte-d'Ivoire
Les deux pays voisins du Mali vont devoir s'adapter au départ des troupes françaises de l'opération Barkhane, s'ils veulent faire face à la menace terroriste.
Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 17 février, le retrait des forces françaises engagées au Mali dans le cadre de l'opération Barkhane. Cette opération va prendre entre quatre et six mois, selon le chef de l'État français. Vendredi, la junte au pouvoir a demandé à la France de retirer ses soldats "sans délai". Pour les pays voisins du Mali, cette décision n'est pas sans conséquences.
Au Burkina Faso, le départ de la France bienvenu
Au Burkina Faso le départ des troupes françaises de Barkhane suscite de la satisfaction. L’image de la France est, qu’on le veuille ou non, toujours celle d'un peuple colonisateur. La France est perçue comme arrogante et donneuse de leçons. Par ailleurs, l'opération Barkhane n'est pas jugée efficace : depuis sa création, la situation n'a fait qu'empirer car les jihadistes ont progressé du Mali vers le Burkina Faso. Près de 80% du territoire burkinabé est hors de contrôle aujourd’hui et les gens se demandent ce que fait Barkhane.
Cette interrogation est notamment liée au fait qu'au Burkina Faso, à l'inverse du Mali, Barkhane n'est pas stationnée en masse. On ne voit donc pas l’armée française. Il y a des forces spéciales de l’opération Sabre, mais elles sont en périphérie de la capitale, Ouagadougo. Ces soldats, très discrets, sont chargés des opérations lourdes, par exemple l’élimination des chefs jihadistes. Or, comme il n'y avait pas de communication sur ce que Barkhane pouvait faire au Burkina Faso, cela a alimenté la méfiance : tout le monde se demande comment une armée si puissante et si équipée n'arrive pas à bout des terroristes. Cela a ainsi alimenté les thèses complotistes. Sur les réseaux sociaux, beaucoup disent par exemple que la France arme les terroristes pour entretenir l’insécurité et rester au Sahel.
Le Burkina Faso, comme la Guinée et le Mali, a connu il y a quelques semaines un coup d’état militaire. Malgré ce contexte, il n’est absolument pas question pour l'heure du départ des commandos de Sabre. Les militaires qui ont pris le pouvoir sont des hommes de terrain, des jeunes officiers qui savent qu’ils sont attendus au tournant par la population sur des résultats très rapides en matière de retour à la sécurité. Or, l’armée burkinabée est totalement sous équipée. Il y a déjà eu plus de 500 ou 600 militaires tombés au front - les chiffres sont assez opaques. Ces jeunes militaires savent donc qu’ils ont besoin d'appui rapide. Par ailleurs, ils connaissent bien la France puisque le chef de la junte, le lieutenant colonel Damiba, est diplomé de l’école de Guerre de Paris. Reste à voir comment cet appui va se faire. Une chose est sûre : il faudra qu’il soit à la fois discret mais assumé de part et d’autres pour être légitime et, surtout, qu’il soit très vite porteur de résultats.
En Côte-d'Ivoire, une nécessaire réorganisation
La Côte d’Ivoire va devoir, elle aussi, se réorganiser parce que le pays partage plus de 500 kilomètres de frontières avec le Mali. Cette frontière est poreuse, même si elle est beaucoup plus surveillée depuis deux ans. Le risque est évidemment l’infiltration de groupes armés sur le sol ivoirien. Il y a déjà eu d’ailleurs plusieurs attaques ces deux dernières années visant des militaires et des forces de l’ordre. Le patron du renseignement extérieur français, Bernard Émié, disait d'ailleurs en 2021 qu'Al-Qaïda au Sahel développe un "projet d'expansion" vers le golfe de Guinée, en particulier vers la Côte d'Ivoire et le Bénin.
Jeudi 18 février, le président ivoirien Alassane Ouattara s’est donc dit prêt à investir davantage dans la sécurité. "Le départ de Barkhane et de Takuba crée un vide", a-t-il reconnu lors d'une interview à RFI et France 24. "Nous serons obligés d'augmenter nos forces de défense, d'accroître la protection de nos frontières, d'acheter des armes et d'avoir une plus grande professionnalisation. C'est aussi notre devoir. Les armées nationales doivent régler les problèmes sur nos territoires nationaux. C'est notre philosophie et nous prendrons toutes les mesures possibles même si nous devons dépenser 3 ou 4 % du PIB dans des dépenses militaires. Nous le ferons pour notre protection car sans sécurité il n'y aura pas de développement." Alassane Ouattara a aussi fait un appel du pied à ses partenaires occidentaux. "Les militaires français sont les bienvenus chez nous comme les Américains comme d’autres", a-t-il déclaré.
La présence militaire française est déjà importante en Côte-d’Ivoire puisque 900 soldats y sont déployés. Abidjan est la base logistique de Barkhane et la coopération franco-ivoirienne devrait s’intensifier. La visite du chef d’État-major des armées françaises, Thierry Burkhard, la semaine dernière, en est une preuve. Il a échangé avec son homologue ivoirien et le ministre de la Défense avant de se rendre à l’académie internationale de lutte contre le terrorisme, à Jacqueville près d’Abidjan. Cette structure est cofinancée par la France et la Côte-d’Ivoire. Elle forme des militaires, des policiers, des gendarmes ou encore des magistrats pour faire face à la menace terroriste. Ils participent à des entraînements des forces spéciales. Plusieurs centaines de stagiaires de différents pays d’Afrique de l’Ouest ont déjà été formés depuis la création de l’académie en 2017.
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