franceinfo conso. Trop d'examens médicaux inutiles ? Comment expliquer ce phénomène ?
Comme chaque samedi avec le magazine "60 Millions de consommateurs", le rendez-vous conso de franceinfo. Aujourd'hui les examens médicaux. Comment en parler avec son médecin, faut-il aller vers une désescalade des diagnostics ?
Radios, analyses, tous les examens médicaux qui nous sont prescrits ne sont pas forcément utiles et ils nous coûtent cher ! Un constat très clair dans le magazine 60 Millions de consommateurs du mois de mai, avec une enquête signée Emilie Gillet. Les précisions pour franceinfo d'Adélaïde Robert-Géraudel.
franceinfo : Pourquoi est-il comme il est écrit, "plus que temps, aujourd’hui, d’envisager une désescalade de ces diagnostics"?
Adélaïde Robert-Géraudel : Parce qu'on débourse des milliards d'euros pour des procédures diagnostiques dont une partie (entre 20% et 40% suivant les actes) n'est pas justifiée : ce sont des examens inutiles mais qui ne sont pas sans conséquences.
Quelles sont les principales conséquences ? C'est un coût pour l'Assurance Maladie ? Et même pour l'environnement ?
Oui, c'est un coût pour l'Assurance Maladie, donc pour nous, qui la finançons. C'est un coût pour les complémentaires santé, ce qui se répercute sur nos cotisations. C'est un coût environnemental bien sûr, ça dépense des matériels, souvent à usage unique, et ça génère des déchets. Mais ça a aussi des conséquences pour nous ! Quand vous passez une radio, vous vous exposez à des rayons X dont le cumul au cours de la vie n'est pas souhaitable. Pour d'autres imageries, il faut injecter des produits de contraste, qui ne sont pas sans risque. Etc. Et puis ça peut créer inutilement de l'anxiété.
Vous faites une liste des bonnes questions à poser avant un examen ou une analyse :
• Pourquoi dois-je les réaliser ?
• En quoi cela va-t-il orienter ma prise en charge ou mon traitement ?
• Quels sont les risques auxquels je m’expose en les réalisant ou pas ?
• Quel est le degré d’urgence à les réaliser ?
Difficile d'avoir les réponses à ces questions sans le médecin, médecin qui est souvent celui qui prescrit les tests ou les analyses...
C'est pour ces raisons qu'il faut les poser au médecin. C'est le plus à même d'argumenter sa prescription et de vous faire comprendre sa démarche. Il faut rester dans une relation de confiance avec la personne qui vous traite. L'idée n'est pas d'aller à l'encontre de sa décision médicale mais de l'interroger pour mieux la comprendre, et éventuellement la faire évoluer.
Le médecin peut prescrire certains examens par habitude, alors qu'entre temps les recommandations ont changé, ou peut le prescrire parce qu'il pense que c'est ce que vous attendez de lui (le fait est que certains examens inutiles sont réalisés à la demande des patients), ou parce que ça le rassure, lui, ou parce que vous avez omis de lui dire que vous aviez déjà réalisé cet examen à l'hôpital, ou avec un précédent médecin...
Il y a plein de raisons. Y compris économiques. Quand vous allez dans un centre dentaire et que la personne de l'accueil vous "fait passer à la pano" avant même que vous ayez vu le chirurgien-dentiste, il ne faut pas hésiter à demander à voir d'abord le médecin, pour savoir si c'est vraiment nécessaire. Que ça les arrange en termes d'organisation, oui, que ce soit rémunérateur aussi, que ce soit sans frais pour vous si vous avez une mutuelle, c'est vrai aussi, mais est-ce utile? C'est quand même un peu la vraie question...
Imagerie médicale, bilan sanguin... Il y a des analyses et des examens de toutes sortes. Lesquels sont parfois superflus ?
Il y en a beaucoup qui sont prescrits dans des situations qui ne les justifient pas. Un frottis chez une femme de 20 ans, par exemple, une radio du crâne en cas de traumatisme crânien, ou, plus fréquent, une radio du dos pour une douleur lombaire classique, récente, isolée, sans histoire de traumatisme chez un patient jeune, ou encore le dosage de la vitamine D, qui n'est utile que dans des cas très précis... Et la hausse d'échographies, constatée ces dernières années, est davantage mise sur le compte de l'arrivée d'appareils peu coûteux et faciles à analyser, qui ont banalisé les examens plutôt que sur un réel besoin médical.
Comment savoir si un test relève ou pas de l'excès de zèle quand on nous le prescrit ?
En fait, c'est effectivement la difficulté : tout dépend du contexte. Le plus souvent ce ne sont pas des examens inutiles en soi, mais inutiles dans des situations données. Si vos auditeurs ont un doute, il faut qu'ils posent les questions dont on parlait tout à l'heure à leur médecin. Pas décider seuls que c'est utile ou non.
Votre dossier est très complet et creuse vraiment la question en profondeur. Un des effets de ces batteries de tests, c'est le surdiagnostic. On repère et on traite des "anomalies" qu’on n’aurait pas détectées sinon, sans qu'on se porte plus mal ?
Oui, les médecins appellent ça des "incidentalomes" : ce sont des anomalies qu'on trouve au détour d'un examen, une anomalie qu'on ne cherchait pas, dont on ne sait pas toujours quoi faire, qui va créer de l'anxiété et créer le dilemme de savoir s'il faut la traiter, alors qu'elle n'aurait pas fait parler d'elle si on ne l'avait pas trouvée par hasard. Ce type de surdiagnostic peut conduire à "surtraiter". Cela a été montré pour des tumeurs de la thyroïde qui ont conduit à ôter la thyroïde à de très nombreuses femmes, qui auraient probablement pu vivre avec, mais qui doivent désormais prendre un médicament à vie...
Mais le risque tout de même, à vouloir économiser des examens et des tests, ce n'est pas de passer à côté de pathologies qui peuvent être graves ?
En fait, il ne s'agit pas d'économiser des examens et des tests qui pourraient être utiles, donc pas tous les examens de la thyroïde, par exemple. Il faut évidemment peser ce qu'on risque en faisant l'examen, et ce qu'on risque si on ne le fait pas ou surtout si on ne le fait pas tout de suite, mais qu'on attend un peu. Il ne faut pas que les gens aient l'impression qu'en éliminant des examens inutiles on les prive de quelque chose ou qu'on cherche à faire une économie sur leur dos, mais plutôt qu'on cherche à les préserver de conséquences néfastes et garder des ressources (les créneaux IRM, le temps médical, l'argent de la Sécu) pour faire des examens utiles.
C’est toute une approche de la médecine qui est remise en question... À ce sujet d'ailleurs l'académie de médecine veut rappeler que la médecine, c'est d'abord la clinique (le dialogue et l'observation du patient) puis des examens complémentaires, et pas l'inverse ?
Oui, il y a une vraie réflexion critique qui émerge depuis quelques années.
Vous écrivez que les examens inutiles sont de plus en plus débattus dans le milieu de la médecine. À quel point il y a-t-il une prise de conscience et quelles sont les réponses apportées ?
Les études et rapports qui pointent les effets délétères des examens inutiles se multiplient. Les recommandations évoluent et permettent de mettre en garde contre les risques de dérive et de surdiagnostic. Les sociétés savantes sont vigilantes et alertent régulièrement sur des examens qu'elles considèrent inutiles.
L'Académie de pharmacie a par exemple mis en garde contre l'inutilité et le risque de confusion de la recherche d'anticorps contre le covid-19, la société française d'allergologie sur la recherche d'IgG anti-aliments... Quand l'examen est inutile, quel que soit le contexte, la Sécu a un levier financier : celui de ne pas rembourser l'analyse. Mais sinon, on en revient à ce dialogue entre médecins et patients.
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