Le décryptage éco. Non, la France n'a pas perdu sa souveraineté
Il a été beaucoup question pendant la campagne de la présidentielle du souverainisme, comme si la France avait perdu sa souveraineté, notamment dans le domaine économique. Le décryptage de Vincent Giret.
A entendre certains candidats de la présidentielle, la France aurait perdu sa souveraineté, notamment dans le domaine économique. Pour savoir si cela est exact, il faut d’abord faire un peu d’histoire. La France s’est construite historiquement autour de son Etat. On peut même dire qu’en France, l’Etat a précédé la Nation. Elle s’est construite par en haut. Et cette inversion de la logique politique constitue la matrice de notre identité. C’est pourquoi toucher à l’Etat est si sensible en France. Cela revient à toucher à la représentation que nous nous faisons de nous même, c’est donc toucher à notre souveraineté.
Premier point, est-ce que l’Etat a diminué ces dernières décennies, en taille, en poids, en moyens ? Non, on ne peut franchement pas l’affirmer : la meilleure preuve, c’est que l’Etat avale 57% de la richesse nationale produite chaque année. Cela nous situe à un niveau record, par rapport à notre histoire, mais aussi dans le monde. Ce pourcentage fait d’ailleurs de la France le septième pays au monde où le poids de l’Etat est le plus lourd, derrière de charmantes contrées comme Cuba, l’Irak ou la Russie.
Deuxième point, ce poids de l’Etat implique que sur un nombre considérable de domaines, l’Etat est tout puissant, totalement souverain et qu’il n’a de compte à rendre à personne. L’école, la formation, la santé, le logement, notre système de protection sociale ou de retraite, pour ne prendre que quelques grands exemples de politique publique, tout cela ne dépend que de nous. Et si cela ne fonctionne pas toujours bien, inutile de chercher des bouc-émissaires, nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous même, Bruxelles ou la mondialisation n’y sont strictement pour rien.
La France a choisi de partager sa souveraineté
Pourtant, les Français ont parfois le sentiment que la mondialisation nous a rendu beaucoup plus interdépendants qu’autrefois. Et cela est tout à fait exact. D’abord, pour une large part, c’est une interdépendance que nous avons choisie, dans le but de mieux nous protéger. La France a donc choisi de partager sa souveraineté monétaire. On peut même dire que les Français l’ont choisi puisque ce choix a été ratifié par référendum. Ce choix a permis la création de l’euro, une monnaie commune désormais à 19 pays européens. Et ce n’est pas une perte de souveraineté comme on l’entend trop souvent, mais le choix d’exercer à plusieurs cette souveraineté monétaire. Pour une raison forte : dans une économie de plus en plus mondialisée, chaque grande région du monde a tout intérêt à s’organiser, à se rassembler, un pays seul a moins d’armes pour défendre ses intérêts, sa monnaie, et donc sa souveraineté.
C’est par l’euro et au delà par l’Europe que la France peut aujourd’hui peser dans les négociations mondiales, commerciales ou monétaires, se protéger en cas de guerre des monnaies ou d’attaques des marchés financiers. Ce choix impose de fait un minimum de règles communes en matière de politique budgétaire et d’endettement, et une banque centrale indépendante. Et ce choix rend impossible l’utilisation par la France de certains outils traditionnels comme l’arme du blocage des prix ou le contrôle des changes. Mais on peut constater qu’à chaque fois que la France a voulu dans le passé utiliser de telles armes, c’est qu’elle était dans un état de crise et de grande vulnérabilité.
La fiscalité, elle, reste nationale
Mais face aux Etats, d’autres acteurs se sont aussi imposés, comme les grandes entreprises par exemple. Il y a aujourd’hui de très grandes entreprises dont la capitalisation boursière, c’est à dire la valeur en bourse, dépassent le PIB de certains Etats. Et ces entreprises ont eu souvent tendance à se jouer des Etats et des frontières, notamment pour payer moins d’impôt.
Mais le grand paradoxe, c’est que le domaine fiscal est justement celui où notre souveraineté n’est pas partagée. Or seules des règles communes permettraient d’empêcher ces entreprises d’échapper à l’impôt. Voilà donc un exemple, où ce n’est pas de davantage de souveraineté dont la France a besoin, mais de davantage de gouvernance internationale et, d’abord et avant tout, européenne. La France n'a donc pas perdu sa souveraineté, mais dans certains domaine, elle l'exerce aujourd'hui et doit l'exercer différemment dans le monde d'aujourd'hui.
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