Forces de l'Otan : le général Jean-Marc Vigilant explique pourquoi, selon lui, les Américains doivent passer la main

Alors que la France commémore les 80 ans de Débarquement et que les élections européennes ont lieu dans quelques jours, le général Jean-Marc Vigilant défend une gouvernance européenne des forces de l’Otan.
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Général Jean-Marc Vigilant, président du club de pensée EuroDéfense-France, le 5 juin 2024 sur franceinfo. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Ancien directeur de l'école de guerre et président du club de pensée EuroDéfense-France, le général Jean-Marc Vigilant n'est plus en service actif. Il s'exprime désormais en son nom. Il a exercé de nombreuses responsabilités, notamment à l'Otan. La défense européenne est un thème important de la campagne électorale qui s'achève sur fond de guerre en Ukraine et des commémorations du D-Day qui commencent mercredi 5 juin. Selon lui, il est important que les forces de défense otaniennes passent sous commandement européen.

franceinfo : Ces dernières heures, l'Ukraine affirme avoir frappé le sol russe avec des missiles moyenne portée américains. La France autorise l'utilisation de ces missiles longue portée elle-même pour frapper des bases en Russie. En retour, la Russie menace les soldats français qui seraient présents sur le sol ukrainien. C'est un basculement auquel on assiste ?

Jean-Marc Vigilant : C'est une évolution en fait. Il faut bien voir que lorsque la Russie envoie ce message et que les médias occidentaux s'en font le relais, elle cherche simplement à rentrer dans ce que nous appelons la guerre de l'information, la guerre cognitique. L'objectif n'est pas d'atteindre les autorités politiques ou les militaires, mais l'opinion publique pour diminuer le soutien éventuel à une décision que prendrait le président de la République, en tant que chef des armées, d'envoyer des soldats français sur le sol ukrainien. Pour instiller la peur dans notre opinion. Finalement, la force de la Russie, ce n'est que notre faiblesse et notre peur à nous, Occidentaux. 

L'Union européenne est-elle capable de garantir la paix à ses frontières contre 

La défense de l'Europe est constituée de deux facettes : d'une part les institutions européennes, mais également l'Otan. Il n'y a pas d'armée. Les armées appartiennent aux nations et l'Otan comme l'Union européenne, sont les deux faces de la sécurité de notre continent. L'Otan est l'organisation qui est créée pour la défense collective. Et même si on a toujours le sentiment d'associer Otan et États-Unis, ma proposition, c'est que justement nous regardions l'Otan comme le font les Américains, comme une organisation européenne à laquelle ils participent et dont ils ont le commandement aujourd'hui, mais qui permet d'assurer la protection du continent européen. 

Vous militez pour que ce soit les Européens qui dirigent l'Otan ? 

Pas exactement. Je milite pour que nous changions notre regard sur l'Otan.

"Ce que nous ne percevons pas, c'est que, vu des États-Unis, l'Otan, c'est quelque chose de petit, c'est une organisation régionale. L'Organisation militaire, l'organisation de défense américaine est bien plus grande que l'Otan."

Jean-Marc Vigilant, président du club de pensée EuroDéfense-France

à franceinfo

C'est une organisation qui permet aux États-Unis de projeter leur puissance partout sur la terre et ils ont divisé leur défense en six grandes zones, en si grands commandements régionaux : un pour l'Amérique du Nord, un autre pour l'Amérique du Sud, un pour l'Europe, un pour l'Afrique, un pour le Moyen-Orient et l'Asie centrale et un dernier pour l'Indopacifique. Le général américain qui commande cette organisation est aussi le commandant militaire des opérations de l'Otan en Europe. On l'appelle le Saceur. C'est un homme qui porte deux casquettes, qui a deux fonctions et qui répond à deux chefs différents, d'une part, au Conseil de l'Atlantique Nord, qui est constitué des 32 chefs d'États de l'Otan mais également au président des États-Unis, comme commandant des forces militaires qui sont stationnées en Europe. Ce n'est pas un conflit d'intérêts, c'est une convergence. Mais simplement, nous, Européens, nous devons comprendre qu'en cas de conflit majeur en Europe, la majorité des forces américaines ne passeront pas sous le commandement de l'Otan. Et les Américains l'ont clairement exprimé depuis la dernière opération d'ampleur en Europe qui était la guerre du Kosovo. 

Vous dites que ce serait logique que le commandant suprême des forces alliées de l'Otan, ce soit un Français ou un Britannique ?

En tout cas, on peut se poser la question parce qu’on constate aujourd'hui, que ce général américain qui porte ces deux responsabilités, il est un jour par semaine au plus, dans cet état-major otanien. La majeure partie du temps, il est dans son état-major américain à Stuttgart en Allemagne, ou en visite bilatérale avec les pays partenaires. 

Joe Biden arrive en visite d'État en France. Si Emmanuel Macron, lui, parlait de votre idée, on imagine sa réaction : pas question !

C'est une conversation qu'il faut avoir avec les Américains, sachant que demander ou envisager d'avoir cette responsabilité, pas du contrôle politique qui s'exercera toujours à 30 pays mais du contrôle des opérations militaires, cela va de pair avec un investissement supérieur des pays européens dans leur propre défense. 

Donc cela veut dire qu'il faut augmenter encore les budgets européens, les budgets de nos pays ? 

C'est le sens de l'histoire et c'est aussi la demande des Américains depuis l'administration Bush junior. Ils trouvent que nous ne mettons pas assez d'argent dans notre propre défense. Donc, si nous augmentons notre effort de défense, si nous développons nos capacités militaires, logiquement, nous pouvons prétendre à commander la partie militaire de cette alliance. 

Toutes les armées apprennent de l'histoire. 80 ans après, est ce qu'il y a encore des leçons militaires ou politiques à tirer du Débarquement ? 

Tout à fait. D'ailleurs, c'est pour ça que les officiers de chaque promotion commencent leur année en allant visiter les plages du Débarquement. On appelle ça un "Battlefield trip", donc un voyage sur un champ de bataille pour, d'une part, qu'ils prennent conscience des aspects stratégiques, opératifs et tactiques d'une opération militaire de très grande ampleur, et puis que l'on constate qu'au-delà du sacrifice de ces milliers d'hommes pendant le Débarquement, il y a eu également une grande difficulté au niveau stratégique dans le commandement multinational de cette opération. 

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