Violences gynécologiques : "Les femmes ont raison, nous pouvons pratiquer avec plus de délicatesse", assure une gynécologue
"Nous pouvons pratiquer avec plus de délicatesse", les femmes "ont raison", affirme mardi 26 mars sur franceinfo Amina Yamgnane, gynécologue, qui publie Prendre soin des femmes – pour en finir avec les violences gynécologiques chez Flammarion. Ce livre est un véritable plaidoyer pour changer de regard sur les violences subies par les femmes lors d'un acte médical : "L'abus dans les soins concerne environ 20% des femmes qui ont l'occasion de consulter", explique-t-elle.
Selon elle, "le gros des abus est des négligences et le défaut du recueil de consentement". Le manque de temps des praticiens est en cause. "Les médecins scotomisent [rejetent inconsciemment hors du champ de la conscience] ces consultations. En général, on ne fait pas appel au consentement, on n'écoute pas beaucoup la patiente, on ne lui donne pas beaucoup d'explications", a-t-elle déploré.
franceinfo : Les violences gynécologiques ne sont pas des cas isolés ?
Amina Yamgnane : Les études scientifiques le démontrent. L'abus dans les soins concerne environ 20 % des femmes qui ont l'occasion de consulter. Les violences gynécologiques et obstétricales ne se résument pas à la prédation sexuelle de quelques rares professionnels délinquants de la profession. Il s'agit de négligences dans les soins, de chantages, d'insultes, de menaces et le cas échéant, d'attaques physiques et pourquoi pas sexuelles. Les attaques, les abus de soins les plus graves, sont les moins fréquentes, entre 0,5 et 1,5 %. Le gros des abus est des négligences et le défaut du recueil de consentement.
Le vrai coupable, c'est le temps ?
Exactement. Je mets quiconque au défi de mener une consultation en dix minutes qui aurait l'objet d'écouter les femmes, de prendre en compte tous ses antécédents, de répondre à ses plaintes, de l'examiner avec délicatesse, de lui faire une prescription, la lui expliquer et retranscrire tout dans un dossier. Les médecins scotomisent ces consultations. En général, on ne fait pas appel au consentement, on n'écoute pas beaucoup la patiente, on ne lui donne pas beaucoup d'explications et c'est comme ça qu'on produit des consultations à la chaîne. Tout part de là.
Cela ne concerne pas que les femmes ?
Ça concerne tout le monde. Pour la simple et bonne raison que les hommes sont soumis aux soins.
"Ma première expérience en tant qu'étudiante a consisté à ce que dix stagiaires, dont je faisais partie, fassent un toucher rectal, chacun son tour, à un patient qui était cul nu devant nous, à qui on n'avait pas demandé l'avis."
Amina Yamgnane, gynécologueà franceinfo
Le consentement qui est un droit est souvent éludé ?
Bien sûr, la faculté de médecine nous a appris à proposer des examens aux patientes, mais ne nous a jamais appris : qu'est-ce qu'on fait quand un patient ne consent pas ? Donc on utilise bien entendu la culpabilisation, l'information déloyale, le paternalisme, l'infantilisation pour faire céder les patients. Céder n'est pas consentir.
Ça vous a pris beaucoup de temps à prendre conscience de cela ?
C'est à l'occasion d'une formation professionnelle qui a consisté à écouter les témoignages des femmes qui considéraient vraiment que nos compétences techniques étaient au rendez-vous. Mais elles nous interrogeaient sur notre savoir être et notre savoir dire. Ça m'avait mis dans une grande colère parce que j'étais dans l'excellence technique et je ne voyais pas très bien ce que me demandaient ces femmes.
On peut vous reprocher de faire l'amalgame entre les praticiens authentiquement pervers et ceux qui ont eu une parole malheureuse ou des gestes indélicats. Ce n'est pas la même chose...
Il n'est pas question de mettre tout sur le même plan. Effectivement, on ne traite pas par les mêmes logiques le dépistage et l'exclusion d'un prédateur sexuel, d'un défaut de consentement. On n'est pas du tout dans les mêmes logiques. C'est pour ça que le concept de violence gynécologique et obstétricale qui englobe toutes ces problématiques est sans doute une des entraves à trouver une stratégie de sortie.
On est confronté d'un côté à des associations qui disent en gros "tous les gynécologues sont des salauds" et des médecins qui disent "ce n'est pas aux femmes de nous apprendre notre travail". Comment on sort de ça ?
C'est un cadeau qui a été fait aux professionnels de la santé par les associations d'usagères. Je sais que je plaide dans le vide avec cette question. Il s'agit de trouver des sorties. Ce n'est pas une question de féminin. Ce qui fait la ligne de clivage entre un gynécologue bien traitant et un gynécologue maltraitant, ce n'est pas le fait qu'il soit une femme ou un homme, c'est le fait qu'il soit formé ou pas formé. Ce n'est pas dans la confrontation qu'on va trouver des solutions. Ce n'est pas la peine de proposer aux femmes d'accoucher à la maison avec des professionnels non formés versus aller à l'hôpital. Ce n'est pas là qu'on va trouver la solution.
Comment réagissez-vous à ceux qui disent qu'on est allé trop loin dans la médicalisation des grossesses ?
40% des femmes qui accouchent pour la première fois ne vont pas y parvenir sans l'aide médicale. 20% de césariennes, 20% de forceps ou ventouse. Même si on laisse les femmes faire, il n'y en a que six sur dix qui vont y arriver toutes seules. Qu'est-ce qu'on appelle aller trop loin ? On sauve des vies quand même. Sans médicalisation, on se retrouve dans des taux de mortalité maternelle et infantile qui sont dramatiques. Par contre, cette médicalisation qui a sauvé des vies, nous l'avons faite à un prix qui a été important à payer pour les femmes et maintenant qu'elles nous parlent, je pense qu'on a le devoir de les entendre. Nous pouvons pratiquer avec plus de délicatesse. Elles ont raison.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.