André Dussollier : "Je ne pouvais pas échapper à l’envie de faire du théâtre"
André Dussollier est l'un des acteurs les plus incontournables du cinéma français. Il a été césarisé à trois reprises pour ses rôles dans les films : Un cœur en hiver (1992), La Chambre des officiers (2001) ou encore On connaît la chanson (1997). Il a également reçu un Molière, en 2015, pour la pièce Novecento. Sa justesse dans ses interprétations et sa voix sont ce qui le caractérise et ce qui, d'ailleurs, lui vaut une reconnaissance de la part de la critique et du public.
Il a une double actualité. Il est au théâtre des Bouffes Parisiens jusqu'au 25 mars 2023 avec la pièce et création Sens dessus dessous qu'il a conçu, mis en scène et qu'il interprète. Il y convoque de grands auteurs pour partager son amour des mots. Et puis, ce mercredi 8 mars 2023, il est à l'affiche du film En plein feu de Quentin Reynaud aux côtés d'Alex Lutz. L'histoire d'un père et d'un grand-père qui ne s'adressent plus la parole, mais qui vont devoir affronter ensemble un incendie dévastateur en plein cœur de la forêt landaise.
franceinfo : En plein feu se situe entre le film catastrophe et le thriller psychologique. Il raconte une catastrophe naturelle qui, malheureusement, n'est pas sans rappeler les incendies survenus les étés précédents à travers le monde. Il raconte aussi une relation conflictuelle entre père et fils, également vécue par beaucoup. Est-ce que c'est ce qui vous a donné envie de dire oui ?
André Dussollier : Oui, c'est rare qu'on me propose des sujets comme ça, bien inscrits dans la réalité. Et là, il y avait en effet un double sujet, c'est-à-dire qu'il y avait cet incendie de forêt qui est spectaculaire en soi et qui est inquiétant pour ceux qui sont prisonniers des flammes, et on a vu en effet la réalité qui a presque dépassé la fiction puisqu'on a tourné ce film-là avant les grands incendies dans le Sud-ouest de la France, et puis ce rapport qu'il y a entre le père et le fils, qui sont obligés de fuir les flammes comme tout le monde. On sent qu'il y a un secret très lourd entre eux. Quelque chose de difficile à résoudre. Évidemment, les dernières choses qu'on cache, qu'on retient, vont se dire. Ça révèle aussi ce qu'ils n'ont peut-être pas affronté dans le passé. Donc il y a cette double confrontation. On est dans une sorte de huis clos parce qu'on est enfermé dans cette voiture au milieu des flammes et il y a beaucoup d'ellipses, beaucoup de silences et ces silences-là génèrent une sorte de suspense. Moi, j'adore les silences parce qu'on peut jouer sans révéler tout, parce que les mots vont être nécessaires à un moment donné pour se dire les choses, mais les silences racontent un petit peu ce qu'on se cache, ce qu'on ne dit pas, les réponses qu'on évite de donner, etc...
Dans 'En plein feu', il y a vraiment une tension qui grandit au fur et à mesure par ce regard que l'on porte l'un sur l'autre et qui fait que, vraiment, on ne peut pas éviter de s'affronter.
André Dussollierà franceinfo
Vous jouez depuis que vous avez dix ans. Votre père souhaitait absolument que vous fassiez des études, ce que vous avez fait en obtenant deux licences et une maîtrise, mais on sent quand même que c'était un appel des tripes qui vous a donné envie d'aller plus loin.
Oui, parce qu'à dix ans, quand j'ai découvert le théâtre grâce à une professeure de français, eh bien, c'était un monde nouveau qui s'ouvrait à moi. J'avais l'impression qu'enfin, on pouvait vivre intensément, en disant peut-être les mots des autres, mais en laissant échapper les émotions qu'on retenait dans la vie réelle. Donc, tout d'un coup, c'était une multiplicité de situations, de mondes à travers lesquels on pouvait se libérer complètement. Moi, quand j'ai vécu ça, c'était comme une enfance démultipliée et donc j'étais heureux de faire du théâtre. J'en ai toujours fait parallèlement à mes études, mais en fait, je savais très bien que je ne serais pas professeur. Ma passion a fait qu'au bout d'un moment, je me suis dit : allez, je tente l'aventure ! Et voilà, je ne pouvais pas échapper à cette envie.
Vous avez été admis très vite au conservatoire. Ce sont les mots qui vous ont donné envie de monter sur scène ?
Vous avez raison d'insister sur le mot : les mots. J'ai lu un roman qui m'a beaucoup impressionné, qui s'appelle Les coups de Jean Meckert et qui raconte une histoire d'amour entre un homme, un ouvrier et une femme qui a un peu plus lu que lui. Ils s'aiment à la folie, mais petit à petit, l'histoire d'amour se délite et lui n'a plus les mots pour s'exprimer et il finit par donner des coups. Et je trouve, vraiment, qu'on est dans une société où, en effet, c'est exactement le même schéma, c'est-à-dire que si les gens n'ont pas les mots pour exprimer leurs sentiments, leurs idées, eh bien ça finit en affrontements violents. J'avais vu ça déjà très jeune, où il y avait des différences entre ceux qui avaient accès au langage et ceux qui n'y avaient pas accès. Et je trouve que ce fossé est de plus en plus grand. C'est pour ça aussi, peut-être, que j'ai envie de faire entendre ce spectacle ou ces textes parce que tout d'un coup, on a l'impression que ça nous rapproche un peu du pouvoir des mots.
Dans la pièce Sens dessus dessous, les textes permettent effectivement de révéler ces grands auteurs. Vous les avez conçus, mis en scène. Vous interprétez ces textes, ces extraits de littérature, de poèmes aussi, de monologues qui vous accompagnent depuis toujours. Est-ce qu'ils vous ont permis aussi de vous révéler à vous-même ?
Oui, parce qu'évidemment, en choisissant des textes, on se raconte un petit peu. On raconte ses goûts, ses choix, ses envies, ses plaisirs. Et je m'aperçois que ce sont des plaisirs qui sont très partagés.
Moi, j'aime bien la comédie alors je ne me prive pas de mettre beaucoup de textes dans 'Sens dessus dessous' qui sont drôles. J'aime beaucoup faire rire ou entendre les gens rire. C'est un bonheur, c'est comme dans la vie.
André Dussollierà franceinfo
La vie, c'est aussi la juxtaposition de moments drôles et de moments graves. On passe de l'un à l'autre parce qu'il faut bien, en effet, rebondir à chaque fois pour ne pas être dans la tragédie que la vie vous impose. Du coup, cette alternance comme ça, entre comédie et gravité, j'aime bien la proposer et la vivre.
On sent, en tout cas, que le théâtre, c'est plus que le cinéma, c'est encore une autre dimension.
C'est le lieu de l'acteur. Le théâtre, c'est le lieu, en effet, tout simple où on peut créer un univers en jouant.
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