"C'est le projet de ma vie" : Eric-Emmanuel Schmitt publie le premier tome de "La traversée des temps", une histoire de l'humanité
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, le romancier, réalisateur et comédien Eric-Emmanuel Schmitt.
Dramaturge, romancier, réalisateur, Eric-Emmanuel Schmitt a déjà vendu 22 millions d'exemplaires de ses précédents ouvrages. Il publie un roman qui raconte l’histoire de l’humanité, le premier tome d'une série de huit. La traversée des temps (éditions Albin Michel) est un voyage dans le temps, devenu aussi son projet de vie.
Elodie Suigo : Peut-on définir Paradis perdus comme une épopée du genre humain ?
Eric-Emmanuel Schmitt : C'est le projet de ma vie que je révèle enfin, je sors du placard. Quand j'avais 25 ans, j'étais jeune assistant à l'université, j'enseignais la philosophie et j'ai été traversé par une idée : l'histoire d'un homme, immortel, qui traverserait les grands moments de l'Histoire, nous les raconterait parce qu'il y a assisté ou en a été un des acteurs. Et cet homme qui serait médecin, chercherait le secret de la vie pour les autres mais le secret de la mort pour lui. Parce que je ne pense pas que l'immortalité soit vraiment un cadeau.
Dans cet ouvrage, vous vous attaquez à l'espèce humaine avec un héros issu de la nuit des temps mais qui évolue dans une ère moderne, contemporaine.
C'est une drôle d'espèce que l'espèce humaine. Une fourmilière, et c'était pareil il y a 100 000 ans. Une société humaine, c'est différent à chaque époque et donc l'homme s'est inventé, à travers des décisions, des hasards, des catastrophes. L'homme est une création historique de l'homme et pas seulement une création de la nature. Et c'est pour ça qu'on peut en faire la grande histoire.
L'humanité c'est sans doute le produit de l'homme plus que de la nature.
Eric-Emmanuel Schmittà franceinfo
Cela se passe entre aujourd'hui et hier, c'est-à-dire qu'il y a une partie du roman qui est totalement contemporain, mon héros Noam se réveille dans une grotte, mais on ne sait pas très bien ce qu'il y a fait dans cette grotte. Il y a sans doute hiberné d'une manière ou d'une autre, recroquevillé comme un fœtus, il renaît. C'est un pouvoir qu'il va avoir de renaître à plusieurs époques.
Et il arrive dans le monde d'aujourd'hui et découvre surtout une inquiétude contemporaine : c'est la dimension écologique, c'est-à-dire que l'homme s'est tellement emparé de la nature, l'a tellement dominée qu'il est peut être aussi en train de la détruire ou en tout cas de détruire la position de l'homme dans la nature. L'homme s'est mis en danger par son génie en quelque sorte.
Dans cet ouvrage, on découvre davantage qui vous êtes.
Je n'ai jamais écrit un livre aussi sensuel, sensoriel, connecté à la nature, aux animaux, à la peau. Dans le roman, je peux enfin crier mon amour profond de la nature et mon rapport aux arbres. Dans tous les volumes de ce grand roman, il y aura des animaux et des arbres qui auront des rôles extrêmement importants.
Il y a un aspect biblique, par exemple "Après moi, le déluge".
Ce qui m'intéresse, c'est à la fois de raconter dans ce volume le déluge mais ce que les hommes en ont fait c'est-à-dire que tout d'un coup, ils ont moralisé, parce que les hommes sont toujours à la recherche de sens alors qu'il y a des événements qui sont peut-être dus au hasard ou simplement à des données purement physiques. L'homme est toujours une machine à interpréter et comme je veux raconter l'humanité, je raconte la machine à interpréter et la Bible en est une. J'ai même été mis en danger par l'écriture de ce livre car j'ai la foi mais tout d'un coup elle était remise en question par des façons de penser totalement différentes et je me suis rendu compte qu'après l'avoir fragilisée, elle a été contextualisée.
Je crois qu'un écrivain, un artiste de manière générale, n'a pas à courir après son époque. C'est juste un tympan de son époque et ça vibre.
Eric-Emmanuel Schmittà franceinfo
J'ai l'impression que vous vous êtes mis en danger parce que c'est très compliqué de s'attaquer à l'histoire de l'humanité. Cette part de subjectivité que vous y apportez, c'est votre regard. Est-ce que vous avez peur ?
Oui ! Mais qu'est-ce que je suis content d'avoir peur ! Quand je n'aurai plus peur, j'arrêterai tout. J'ai l'impression que je viens de me faire le cadeau de toutes les années à venir parce que je vais me lever tous les matins en sachant exactement ce que je dois faire : me lever avec désir, avec envie et être enfin dans le lieu où je voulais être depuis un certain temps. J'ai l'impression que je me suis donné de la vie.
Il y a beaucoup de sagesse dans cet ouvrage. On se rend compte que plus on en sait, moins on en sait et que l'on navigue tous dans une ignorance complètement incroyable, à tel point qu'on ne connaît pas l'avenir. On ne sait pas si l'avenir sera positif ou négatif.
Il y a beaucoup de réflexions sur le savoir et l'ignorance dans l'histoire de Noam parce qu'au fond, lui, il y a 8 000 ans, savait tout ce qu'un homme pouvait savoir à son époque. Il savait à la fois chasser, planter, cueillir, faire un feu donc c'était le temps du savoir partagé. Aujourd'hui, j'ai peur qu'on soit dans le temps de l'ignorance partagée, c'est-à-dire que le savoir s'est tellement spécialisé que plus aucun homme ne peut savoir ce que les autres hommes savent et donc on dépend tous les uns des autres. On l'a bien senti pendant cette pandémie, cette extrême dépendance des uns par rapport aux autres, c'est une belle chose mais c'est aussi une vulnérabilité.
Savoir, philosophie et humour, c'est la même chose, c'est la prise de distance et c'est nécessaire.
Eric-Emmanuel Schmittà franceinfo
Il y a un côté très Minotaure. C’est à chacun de nous d'aller chercher notre fil d'Ariane ?
Mon rêve d'écrivain c'est de semer et pas d'asséner, c'est-à-dire de semer des graines de réflexion, des questions, des remarques qui surprennent.
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