Confidences de l’écrivain Serge Joncour : "Oui, écrire c'est un vice"
Serge Joncour est écrivain. Sa "naissance littéraire" est arrivée avec un premier roman intitulé Vu en 1998. Depuis, il a reçu le prix France Télévisions en 2003 pour U.V. qui a été adapté au cinéma, le prix Landerneau des lecteurs (2018) et le prix du roman d'écologie (2019) pour Chien-loup et le prix Femina pour Nature humaine en 2020. Il a publié au mois d'août, chez Albin Michel, un nouveau roman intitulé : Chaleur humaine.
franceinfo : Chaleur humaine est un roman construit comme un miroir de ce qu'est la nature humaine, avec ses joies, ses peines et ses dualités. C'est la suite de votre roman précédent dans lequel vous racontiez la vie d'une exploitation sur plus de deux décennies avec un éclairage sur la transmission. Était-ce pour vous une suite logique de passer de la nature à la chaleur, sachant qu'on lutte contre le réchauffement climatique ?
Serge Joncour : En fait, "Nature humaine", c'était une façon de montrer les années 80-90. Cette façon qu'on avait tous de quitter la campagne. Et je voulais rêver d'une fiction où, 20 ans après l'an 2000, tout le monde retournerait vers la campagne, vers la nature. Et voilà, il s'est passé 2020 avec le COVID, les confinements qui ont faits que, d'une certaine façon, on a porté un autre regard sur cette nature. En mars 2020, on rêvait tous d'être à la campagne et les villes se sont fait envahir de canards, de sangliers, d'ours. J'aurais pu ajouter "chaleur animale" parce que c'est un monde qu'on leur restitue d'une certaine façon.
C'est vrai que le monde a basculé à ce moment-là. Et vous, vous avez choisi le prisme de cette famille, c'était donc tout trouvé, mais c'est un pur hasard finalement que ça arrive à ce moment-là. Vous racontez comment cette famille a dû se construire différemment, comment elle est revenue à l'essentiel finalement, comment elle a réussi à resserrer les liens du clan. C'est cet aspect positif que vous vouliez montrer, ce retour à l'essentiel ?
Oui, tout à fait. Déjà cette observation, dans beaucoup de familles, il y a une enfance qui n'est pas toujours harmonieuse. Petit à petit, les liens frères-sœurs se distendent. On se voit moins, ou alors on se voit dans certaines occasions un peu obligatoires. Et ça, je voulais un peu écrire là-dessus. Qu'est-ce qui fait qu'à un moment, on n'a plus rien de commun alors qu'on a un territoire, une enfance et des parents en commun. Et je rêvais à une forme de science-fiction pour les forcer à se rassembler, tous. Dans mes plans, j'avais l'idée d'inventer une catastrophe écologique qui mènerait à ça, mais finalement, il y a eu une catastrophe humanitaire qui nous a amenés à ça, à se retrouver.
On sent ce lien familial, il est très important. Vous l'avez vécu un enfant ?
J'ai un nombre considérable de cousins, de neveux et chacun a fait sa vie. Il y a aussi ceux qui sont partis à l'autre bout du monde. J'en parle un peu au travers du personnage de Constance, cette sorte de désir qu'il y avait, à certains moments, d'aller travailler dans l'humanitaire, d'aller vivre ailleurs, de faire sa vie ailleurs. Il y avait comme une forme d'obligation de partir, comme si c'était une émancipation ultime d'aller "ailleurs". Alors que le personnage d'Alexandre qui est un peu le personnage central de ce livre, lui, il est resté au même endroit et en ça, il est fidèle à une forme de tradition qui est celle de mes parents, de mes grands-parents. Je pense que mes grands-parents n'ont pas fait plus de 30 kilomètres autour du périmètre dans lequel ils vivaient. Sinon, mes grands-pères, une fois tous les 30 ans pour faire une guerre.
Pendant quelques années, vous n'aviez pas trop le droit de parler, l'écriture vous a-t-elle permis à ça ?
De la même façon que mes lectures m'ont servi de regard sur le monde. Une lecture permet quand même de rentrer dans la tête d'un être, autre. Et ça, ce n'est pas si courant. La lecture m’offre de voir le monde au travers du prisme de quelqu'un d'autre que moi. Et à un moment je me suis mis à parler avec ces livres, et avant tout, je dirais avec mes personnages, parce que moi, quand j'écris, je suis peuplé de mes personnages, c'est-à-dire qu'ils sont là comme une famille.
"Une fois que le livre est fini, je suis un peu déçu de considérer que mes personnages continuent à faire leur vie sans moi."
Serge Joncour, écrivainà franceinfo
Vous faites 1,88 mètre et du coup vous en imposez, mais il y a une énorme sensibilité à l'intérieur de vous. Cette sensibilité ne vous-a-t-elle pas, pas desservi, mais "abimé" par rapport au regard des autres ?
Oui, parfois j'ai le sentiment de ne pas être complètement étanche. Je ne suis pas hermétique au monde. J'absorbe un peu trop. C'est pour ça que ça me fait du bien par phase de rester un mois là-haut du côté de Cahors, dans une maison entourée de collines. Les seules présences, hormis les pèlerins de Compostelle qu'on croise un peu le matin avant qu'il ne fasse trop chaud, sont plutôt des bestioles qu'on ne voit pas toujours d'ailleurs, qu'on entend. Certains parlent de lynx et de loups, moi, je ne les ai pas vus encore, mais il paraît qu'ils sont là.
Est-ce que vous n'êtes pas vous même un peu un chien-loup ?
Totalement, oui. Je suis à la fois très domestiqué, sage et très sauvage. Il y a un peu des deux. Oui chien-loup, ça me va bien.
Quel rôle l'écriture joue dans votre vie ?
C'est à la fois un vice... Certains dessinent... Je me souviens à l'école de camarades qui dessinaient d'une façon ininterrompue, permanente. Moi, je prenais des notes. On pourrait dire que j'ai inventé le tweet finalement. Je faisais passer des petits messages comme ça, d'élève en élève dans la classe. Et ça m'a donné conscience qu'écrire comme ça trois, quatre mots, ça pouvait avoir une résonance à l'autre bout de la salle, là-bas, et ça faisait marrer untel ou unetelle. Et à partir de là, je me suis dit que j'allais essayer de le faire de façon plus ambitieuse, plus ample. Et voilà, ça m'a pris du temps. Mais oui, écrire c'est un vice.
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