"J'ai fait ce que mon père aurait aimé que je fasse pour la France", Arlette Testyler, rescapée du Vel' d'Hiv, poursuit son travail de mémoire
Née Arlette Reimann en 1933 à Paris, Arlette Testyler est Française de confession juive par ses parents d'origine polonaise. Elle a été arrêtée avec sa sœur et sa mère le 16 juillet 1942, lors de la rafle du Vél' d'Hiv. Aujourd'hui, en tant que survivante de cette rafle menée par la police française au service des nazis et en tant que survivante d'un internement au camp de transit de Beaune-la-Rolande, elle est devenue un témoin précieux de la Shoah. Avec la contribution d'Alexandre Duyck, elle publie chez Hugo Doc le témoignage : J'avais 9 ans quand ils nous ont raflées.
franceinfo : On estime qu'il y a moins de 100 adultes qui ont réussi à survivre à la rafle du Vélodrome d'Hiver et quatre enfants, en tout. Racontez-nous ce 16 juillet 1942. Il est 5 heures du matin et on toque à la porte.
Arlette Testyler : Je me lève avec maman. Elle demande qui est là et il y a deux policiers qui nous disent : "On vient arrêter votre mari Abraham Reimann". Là, maman a répondu : "Mais il est déjà parti, et même, en destination inconnue", puisque mon père avait été raflé pendant la rafle du billet vert et eux, sans se démonter, ils avaient cette liste dans la main. Ils ont dit : "Ce n'est pas grave, c'est vous et vos enfants". Et là, j'ai vu ma maman qui ne perdait pas son sang-froid et qui s'est battue avec eux. Et on nous a emmenées dans ces horribles autobus. On est parties dans ce vélodrome d’Hiver. On est au mois de juillet et le temps est un petit peu maussade. Il y a de petites gouttes de pluie qui tombent comme si le ciel pleurait avec nous.
"Vous dire comment était le Vélodrome d'hiver en juillet 1942 ? C'est innommable."
Arlette Testylerà franceinfo
Je me souviens, j'ai dit à ma mère, j'ai envie d'aller aux toilettes. Elle me dit : "Va avec Lazare, le petit voisin" et on monte. Plus on montait, et plus il y avait cette odeur et quand on est arrivés en haut, il n'y avait pas d'eau à terre puisqu'il n'y avait pas d'eau. Que faisaient les gens ? Pudiquement, contre le mur, au bout, ils faisaient leurs besoins, les autres les cachaient. Et puis moi, j'ai neuf ans et je ne connais rien de la vie. Et je vois du linge, des morceaux de coton avec du sang et je me mets à hurler : on tue tout le monde, il faut le dire à maman, à tout le monde, on va nous tuer ! Regarde le sang qui est là. Je ne sais pas que ce sang, ce sont les règles, que les filles sont indisposées. Et je suis sûre qu'on va tuer tout le monde.
L'absence de votre père va peser très lourd. Il n'est jamais revenu de cette rafle. Il est parti dans un premier temps à Pithiviers, ensuite, il a été déporté à Auschwitz où il est décédé en 1942. Comprenez-vous, du haut de vos neuf ans, ce qui était en train de se passer à ce moment-là ? Il y a l'histoire du square dans lequel vous allez depuis que vous êtes toute petite, avec le gardien qui vous demande si vous savez lire et qui vous indique que c'est interdit et aux juifs et aux chiens.
C'est à ce moment-là que j'ai commencé à perdre confiance dans ce que mon papa me disait tout le temps. Il me disait : "Si tu te perds, tu demanderas à un gardien ou un agent et il te ramènera à la maison". Mais je perds confiance dans ce square. Le jour où on m'a mis l'étoile jaune, je me suis sentie plus bas que terre alors que j'étais fière d'être Française. Papa disait toujours : "Il faut être fier d'être Français". Je l'ai entendu dire en 1938 : "S'il y a la guerre, moi, je m'engage pour me battre pour la France". Mon père était plus Français qu'un Français.
Vous donnez des détails très importants, que très peu connaissent. Par exemple, l'étoile jaune était payante.
Il a fallu donner des tickets de vêtements. On a donc été privés de vêtements pour acheter cette horrible étoile jaune.
Parlez-nous de cette famille qui vous a sauvé la vie et à qui vous devez énormément.
Il faut quand même dire que dans toute l'Europe, c'est en France qu'on a sauvé le plus d'enfants juifs. Et c'est très important parce que ceux qui nous ont sauvées, ce n'étaient pas des hauts gradés, je vous le dis tout de suite, c'étaient des petites gens, des gens simples. Depuis ce wagon à bestiaux, ma mère a lancé un petit mot qu'elle a écrit à des voisins expliquant qu'on avait été arrêtés arbitrairement. Il n'y avait pas de timbres, pas d'enveloppe. Quand le train a démarré, elle l'a jeté sur la voie ferrée. Je ne sais pas qui l'a ramassé, mais il est arrivé à destination. C'est à partir de cette époque que les Français se sont réveillés. Quand les gens ont vu ces wagons à bestiaux, avec ces petites mains d'enfants, ces mains de vieillards, ils se sont dits : "Ceux-là, ils ne vont pas travailler en Allemagne". Et c'est à partir de cette époque que la France s'est réveillée.
Est-ce qu'aujourd'hui ça vous a soulagé de mettre des mots sur les maux ?
Oui, ça me fait du bien parce que quand j'arrive dans un lycée, dans un collège, ce sont les élèves qui sont là pour moi. Je ne demande pas grand-chose. Seulement 10% d'entre eux, plus tard, face à ces révisionnistes, à ces négationnistes, diront : "Non, ils ont existé". Je pense que j'ai fait ce que mon père aurait aimé que je fasse pour la France.
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