"J'avais honte" : Jacques Dutronc se confie sur son premier succès "Et moi, et moi, et moi"
Jacques Dutronc est considéré comme l'un des plus grands artistes français. Il nous accueille dans son refuge, son havre de paix à Monticello en Corse. Quand on dit : "Jacques Dutronc", on pense à la musique évidemment, avec une vraie incarnation, une réelle présence sur scène et des titres cultes devenus des madeleines de Proust : Et moi, et moi, et moi (1966), J'aime les filles (1967), Il est cinq heures... Paris s'éveille (1968), Les Plays-Boys (1966) ou encore Merde in France (1984). On pense aussi au cinéma quand on parle de lui, avec comme point de départ en 1973 le film Antoine et Sébastien de Jean-Marie Périer ou Maurice Pialat qui lui confia en 1991 le rôle de Van Gogh avec au final, le César du meilleur acteur. Tous ces ingrédients, on les retrouve dans ses mémoires, Et moi, et moi, et moi , aux éditions du Cherche Midi. Un ouvrage drôle, passionnant tant son humour, son autodérision et sa sincérité sonnent juste.
franceinfo : Ce qui ressort le plus de vos mémoires, c'est votre justesse, cette capacité à dire des choses sans tricher, de raconter votre vie. Est-ce que ça a été facile ou difficile ?
Jacques Dutronc : De se souvenir, ce n'est pas trop compliqué, mais d'approfondir les souvenirs, enfin de revivre certains souvenirs... Je regrette de ne pas en avoir fait plus. Je regrette vraiment que ce soit avorté à un tel niveau, cela aurait pu aller plus loin. Mais sinon, c'est assez sympa et ça ne veut pas dire que c'était mieux avant. Je ne veux pas prouver ce genre de choses, quoique, j'ai été plus jeune quand même, c'est déjà ça.
Est-ce que ça fait du mal parfois de replonger dans certains souvenirs ?
Les souvenirs qui font mal ne sont ni dans le livre ni dans ma tête. Ils sont oubliés par un autre souvenir qui était plus ou moins parallèle, qui n'avait pas trop d'importance.
"Avec le présent, les souvenirs prennent de l'importance. J'ai supprimé tout ce qui n'était pas terrible."
Jacques Dutroncà franceinfo
Et puis à notre époque, c'est plutôt mieux de se marrer que de pleurer. Pleurer, ce n'est pas dur.
Même limite trop facile, finalement ?
Non, rien n'est facile, même de parler avec vous, franceinfo. Enfin, moi ce que j'aime, c'est franceinfo. Je n'aime pas les informations, en fait, c'est vrai. À part cette semaine où je vais être présent, j'espère que ça en fera sourire un ou deux en tout cas.
Le point de départ de votre succès, c'est le titre : Et moi, et moi, et moi.
Oui, c'est le premier.
Écrit par Jacques Lanzmann, ce titre prenait le contre-pied de la mode beatnik. Vous en avez composé la musique. À la base, cette chanson n'était pas pour vous.
Non. Je faisais des maquettes pour que l'édition de Wolfsohn propose telle ou telle musique. C'était compliqué avec Jacques parce qu'il fallait réduire les mots, il fallait refaire telle phrase, il fallait faire ceci, cela, c'était un peu long. Mais on ne se parlait pas, c'était simple, tout était dit en un mot ou une phrase. Lui, était un excellent écrivain, mais comme parolier, ce n'était pas vraiment son truc au départ. C'était très compliqué à mettre en musique, mais bon, j'ai réussi.
"Au départ, c'était Hadi Kalafate qui était un de mes musiciens qui devait chanter 'Et moi, et moi, et moi', il voulait être menuisier et finalement, il est devenu bassiste."
Jacques Dutroncà franceinfo
Et Wolfsohn m'a dit : "Mais attends, pourquoi ce serait lui et pas toi ?" Alors j'ai répondu : "mais moi je..." "Ta gueule, fais-le !" Voilà les dialogues.
Plus tard, j'ai dû la ramener une fois de plus et il m'a dit : "Fais-le, qu'est-ce que tu en as à faire ?" Alors, je l'ai fait. J'ai été avec Wolfsohn la présenter en tant que directeur artistique, mais pas comme chanteur, j'avais honte. Et on est allés la présenter à Europe n°1, à Lucien Morisse. J'ai dit à ce dernier : "mais je vous connais Monsieur". Il a répondu que non. Mais si, je suis l'assistant de Wolfsohn, il arrive. Ils se connaissaient parfaitement et je poursuis en lui disant : "et en plus, vous avez écrit des paroles sur une de mes chansons 'Le temps de l'amour'". Il était très étonné. On lui fait donc écouter. Moi, je ne veux pas trop entendre, je reste à l'écart et on s'en va. Après, dans la voiture, Wolfsohn me dit : "Il a dit c'est vachement fort". Moi, je suis content, il ajoute : "Ce qu'il trouve fort, c'est le nom, c'est Jacques Dutronc parce que trouver un nom pareil, faut le faire". Je n'aurais pas pu l'inventer ça !
Comment avez-vous vécu ce succès ?
J'étais content que ça marche pour tout le monde, pour l'édition, pour le fisc, tout ça. J'étais très content.
Ce succès a illuminé le visage de votre père. Il vous a dit : "Tu es devenu ce que j'aurais voulu être".
Ah oui, c'est ce qu'il m'a dit, c'est une jolie phrase. Mais bon, je ne vais pas dire ça à Thomas, pas encore.
Et moi, et moi et moi s'est vendu à trois millions d'exemplaires. Un peu plus tard, il y aura les Play-Boys avec 600 000 exemplaires.
Play-boys, c'est dans le vinyle, le 33 tours, Jacques Dutronc, que j'ai vendu à plus d'un million d'exemplaires. Je me souviens, j'ai remporté le prix de l'académie Charles-Cros et d'ailleurs la photo de la remise du disque d'or est incroyable, j’étais maquillé et le cadre est du style Louis XV avec des dorures. Et moi, immédiatement, je l'ai raconté 100 fois, mais enfin ça me fait encore marrer de le raconter. Disque d'or, je suis allé directement rue de Provence, je descends chez le bijoutier du coin et je lui dis : "alors ?" Il a pris son œilleton et m'a répondu : "C'est du jaune trompette, c'est de la pacotille". Alors je l'ai gardé.
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