"La musique a plus besoin d’oreilles que de bouches" : Jean-Jacques Milteau et son harmonica privés de scène
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, l’harmoniciste Jean-Jacques Milteau.
L'harmoniciste Jean-Jacques Milteau sort un nouvel album aujourd'hui : Lost Highway, une immersion aux Etats-Unis sur la mythique route 66 qu’il explore notamment avec le guitariste et chanteur américain Carlton Moody.
franceinfo : Lost Highway est un rêve de gosse ?
Jean-Jacques Milteau : Oui, tout à fait. C'est un road-movie sonore qui date de quand j'étais gamin et que je regardais les westerns de John Ford avec mon père au cinéma.
Vous êtes un énorme amoureux du blues, alors ?
Oui. La musique américaine c'est la bande sonore du vingtième siècle.
L'harmonica, c'est un compagnon de route, un ami, un confident ?
C'est une clé parce que si je suis là en train de vous parler c'est que j'ai acheté un harmonica quand j'avais 15 ans. À l'époque, je ne pensais pas en faire un métier !
C'est un instrument qui est très beau mais finalement assez confidentiel.
Oui, c'est un instrument intime. Particulièrement dans ce style de musiques, on joue beaucoup en aspirant.
Avec l'harmonica, il y a un côté gustatif du son, une sensualité du son qui est assez particulière.
Jean-Jacques Milteauà franceinfo
Comment êtes-vous tombé amoureux de cet instrument ?
J'aurais bien aimé jouer de la guitare mais je n'avais pas les moyens de m'en offrir une. Quand j'ai pu m'en acheter une, je me la suis fait piquer donc je suis resté à l'harmonica, un instrument qui était dans la poche et qui convenait à mon budget. Un détail peut faire basculer une vie. Je n'ai jamais pensé quand j'ai acheté un harmonica que ça deviendrait mon métier et que je serais interviewé par vous !
Vous allez vraiment craquer pour cet instrument dans les années 60 en écoutant Bob Dylan, les Rolling Stones donc vraiment ce côté folk, rock aussi mais c'est uniquement dans les années 70 que vous allez vraiment vous lancer.
Je suis allé aux États-Unis pour la première fois en 1970, j'avais 20 ans. On n'était pas nombreux à avoir fait ce voyage, j'étais presque un explorateur ! C'est vrai que j'ai vu des choses dans le sud des Etats-Unis que je n'imaginais pas, comme des gens en guenilles. Pour nous, Français des années 60, l'Amérique c'était un pays riche et en fait quand vous êtes sur place, vous voyez la rouille et les trous dans les chaussettes.
Vous comprenez mieux, en étant là-bas, le sens du blues, l'impact, la force de ce mot, de ce que cela représente.
On met un peu de temps à comprendre comment se passent les choses mais surtout (on le voit encore plus en ce moment), il y a une espèce d'effort politique qui a été fait de la part des dominants quels qu'ils soient pour dresser les communautés les unes contre les autres, chaque fois qu'il y en avait besoin. C'est quelque chose de très violent.
Très vite, dans les années 70, quand vous avez commencé, il y a eu une énorme reconnaissance. Les personnalités avec lesquelles, ou pour lesquelles vous avez joué, sont Yves Montand, Eddy Mitchell, Jean-Jacques Goldman, Maxime Le Forestier, Barbara, Charles Aznavour ou encore Renaud. Ça vous a impressionné au début de jouer avec ces gens-là, de pouvoir accéder à ce niveau en si peu de temps ?
Oui bien sûr. J'ai déjà beaucoup apprécié le fait qu'ils me sollicitent mais j'ai aussi beaucoup appris parce que vous ne jouez pas tout le temps donc vous regardez un peu comment se passent les choses. Le type de rapport de ces artistes avec leur entourage, les musiciens, la situation de fragilité aussi dans laquelle ils étaient au moment où on travaillait ensemble, c'est-à-dire soit en enregistrement soit sur scène... On apprend beaucoup de choses.
1974 est un tournant avec le groupe New Bluegrass Connection. Vous avez toujours été amoureux de cette musique et de l'ambiance, du message envoyé aussi !
Ça revient maintenant chez nous mais pendant longtemps, on n'a pas chanté en France. Quand vous allez dans des pays comme l'Italie, la Russie, l'Allemagne, à la fin du repas il y a toujours quelqu'un qui pousse la chansonnette que tout le monde reprend. Il y a quelques années, on est allés aux Etats-Unis faire un petit trip entre Austin et La Nouvelle-Orléans et tous les endroits où on s'arrêtait, on allait au magasin de musique demander ce qui se passait et on rencontrait des gens qui n'étaient pas des professionnels mais qui jouaient bien, sans être extraordinaires, mais il y a une vraie pratique "amateur", un sens de la musique populaire qu'on avait perdu ici.
Un mot sur l'album Memphis, en 2001. Un album marqué par une reconnaissance du public, en tout cas en lien supplémentaire avec le public avec une Victoire de la musique pour le meilleur album de blues. Ça a beaucoup compté pour vous ?
Ça fait toujours plaisir quand on vous accorde une distinction. J'avais déjà eu une Victoire de la musique quelques années avant donc j'ai pu en mettre une de chaque côté de la cheminée.
Ce nouvel album, Lost Highway, représente quoi pour vous ?
À l'origine, ce n'était pas destiné à être distribué. On l'a enregistré après un concert qu'on avait fait avec Carlton Moody. J'ai eu la chance de beaucoup le jouer sur scène dans différentes formules (à l'époque où on pouvait jouer sur scène) et on a décidé d'enregistrer quelques titres de cette formule avec Carlton Moody parce que ça nous avait bien plu. Un label est tombé dessus et ça l'a intéressé donc voilà.
La musique permet de patienter jusqu'à ce qu'on puisse retrouver du public parce que le métier d'un musicien, c'est de rassembler les gens.
Jean-Jacques Milteauà franceinfo
C'est la force de cet album d'ailleurs, on a vraiment l'impression de direct, de cette notion de groupe, un peu comme quand on enregistrait les albums au début du blues, on les immortalisait sur des galettes ou sur des vinyles. C'est de jouer ensemble, la notion de big band.
La genèse de l'histoire c'est que c'est un groupe de copains. C'est difficile de faire de la musique avec des gens que vous n'aimez pas, en tout cas en France.
Ça représente quoi de monter sur scène pour vous ? On sent que vous êtes en souffrance à cause de cette pandémie.
La musique a plus besoin d'oreilles que de bouches.
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