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"La Terre a soif" : la déclaration d'amour aux cours d'eau et le cri d’alarme sur l'état de la planète d'Erik Orsenna

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’économiste, écrivain, membre de l'Académie française, Erik Orsenna. Il publie "La Terre a soif. Guerre et paix au royaume des fleuves", aux éditions Fayard.
Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'écrivain Erik Orsenna était commissaire de l'exposition "Nous, les fleuves" à Lyon (Rhône) le 19 octobre 2022 (JO?L PHILIPPON / MAXPPP)

Erik Orsenna est économiste, écrivain, membre de l'Académie française. Sa plume n'a pas pour habitude de rester sèche. Il a reçu le prix Joseph Kessel pour L'avenir de l'eau (2010) et le Grand Prix de la Société de géographie pour l'ensemble de son œuvre. Prix Goncourt aussi et Goncourt des lycéens pour L'exposition coloniale, en 1988, il est aussi très engagé et soucieux de l'avenir de notre planète, conscient de l'importance de l'eau. Il préside d'ailleurs l'association Initiatives pour l'avenir des grands fleuves.

Cet engagement, mêlé à une forte inquiétude, a donné naissance au dernier ouvrage d'Erik Orsenna, La Terre a soif. Guerre et paix au royaume des fleuves, aux éditions Fayard.

franceinfo : Ce livre est un signal d'alarme, un cri du cœur, un appel à l'aide pour accélérer justement la préservation de ce qui nous maintient en vie ?

Erik Orsenna : Bien sûr. Il y a quinze ans, j'avais écrit L'avenir de l'eau, mais l'eau est une matière. C'est un peu abstrait, même si c'est nécessaire. Je me suis dit : comment faire comprendre ces enjeux ? Et alors, je me suis tourné vers les cours d'eau.

"Toute rivière et tout fleuve est un être vivant qu'on peut adopter, qu'on peut aimer, qu'on peut redouter, donc avec qui on peut avoir des relations. Ce n'est pas abstrait."

Erik Orsenna

à franceinfo

Je me suis dit : je vais raconter l'histoire des fleuves. Et comme j'ai navigué depuis l'enfance, à la fois sur la mer et sur les fleuves, je me suis dit : je vais me promener. Donc ça a duré au fond une trentaine d'années. J'ai pris toutes mes notes et j'ai fait le portrait de 33 fleuves : les plus grands, il y a l'Amazone, le Mékong, le Nil, le fleuve Jaune. Et puis le tout petit, chez moi, qui s'appelle le Trieux, 72 km, un peu avant Guingamp et juste en face de Bréhat.

En face de Bréhat, il y a le Kerpont. C'est là que vous avez appris à naviguer, là que vous êtes monté dans vos premiers bateaux. Vous avez toujours été passionné par l'eau, salée, douce, jusqu'à boire plusieurs fois la tasse !

Oui, d'ailleurs, ça m'est encore arrivé l'été dernier. Je connais l'eau intimement.

La mer, les fleuves, l'eau. J'ai l'impression que c'est une belle invitation aussi à la poésie.

Bien sûr. C'est de la poésie, mais d'abord de l'humilité, c'est plus grand. Vous savez, mon petit bateau est un bateau à voile. Dans mon bateau à voile, je suis quasiment les fesses dans l'eau, je suis dans les éléments et je suis en train de louvoyer entre le vent et la mer. Et entre les mots et qui peut les lire, mon autre fleuve, c'est la langue française.

Vous dites que "la Terre a soif", dans cet ouvrage. Vous donnez des chiffres qui font froid dans le dos. Le dernier rapport des Nations Unies, en 2022, explique que quatre milliards de personnes vivent dans des zones qui subissent plusieurs mois par an une grosse pénurie d'eau. Cette eau existe, mais est impunément souillée. 80 % des liquides usés, industriels et urbains sont rejetés dans les rivières, alors que depuis les années 80, finalement, la consommation d'eau potable augmente de 1%. Où va-t-on trouver cette eau ?

Il y a des solutions. Moi, je n'aime pas uniquement alerter sans qu'il y ait des solutions. Parce que si notre planète était nulle, pourquoi se battrait-on pour elle ? On ferait comme ces crétins qui pensent qu'ils vont prendre un vaisseau spatial et aller s'installer sur Mars. Elle est absolument merveilleuse et je raconte ce que c'est qu'un lever de soleil, un soir couchant, aller pêcher sur un des fleuves, aller se promener, c'est magnifique. C'est merveilleux, donc il faut alerter parce que c'est fragile. La solution, c'est d'abord de bien la traiter, c'est-à-dire de ne pas verser des saloperies dedans. Ensuite, il faut évidemment économiser et puis faire des différences entre les situations. Il faut toujours mêler l'histoire à la géographie.

Cet ouvrage est fait pour davantage ouvrir les yeux ? Vous dites d'ailleurs à travers lui que vous restez éternellement un élève. C'est important pour vous d'apprendre en permanence ?

Je suis économiste. J'ai connu l'économie, à un moment donné, où on retirait l'histoire et la géographie parce qu'on voulait en faire une science exacte. Donc, on a donné la finance avec les traders et toutes ces conneries mortifères. Et donc il faut réintégrer l'histoire et la géographie. Et l'économie est une science humaine, c'est notre maison, notre maison commune qu'est la planète. On me dit touche-à-tout, mais c'est la vie qui touche à tout, c'est Godard qui disait ça.

"Plus j'apprends, plus j'aime, plus je suis heureux. C'est le gai savoir, c'est le savoir joyeux." 

Erik Orsenna

à franceinfo

À l'Académie française, je suis au fauteuil en même temps de Cousteau et de Pasteur, c'est-à-dire deux explorateurs de la vie, un sous la surface et l'autre pour essayer de trouver la cause, le serial killer responsable des maladies infectieuses, c'est pas mal !

Quel est votre regard sur le temps qui passe ?

Cela ne m'angoisse pas du tout. J'aime mes âges. Je vois mes petits-enfants, quatre ans, six mois. Ils ont un âge, j'ai un autre âge. Essayer d'être à chaque âge sans tricher dans cet âge-là. Et puis, quand ça s'arrêtera, on changera de mode d'existence. Si en face de vous, je m'effondre frappé par un infarctus, franchement, j'aurai vécu au maximum !

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