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Le comédien Philippe Torreton publie "Une certaine raison de vivre" : "L'écriture, c'est le royaume de l'autonomie"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le comédien et écrivain Philippe Torreton.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le comédien et écrivain Philippe Torreton lors de la Foire aux livres à Brive-la-Gaillarde (Corrèze) le 9 novembre 2018 (ST?PHANIE PARA / MAXPPP)

Acteur, auteur, ancien pensionnaire de la Comédie-Française, Philippe Torreton a reçu le César du meilleur acteur pour son rôle-titre dans Capitaine Conan de Bertrand Tavernier (1997), qui évoque un épisode peu connu de la Première Guerre mondiale. Il est également indissociable de la série Les rois maudits, diffusée sur France 2 en 2005. Il publie Une certaine raison de vivre aux éditions Robert Laffont.

franceinfo : Après vos romans Mémé (2014) et Jacques à la guerre en 2018, vous nous replongez dans la guerre, mais cette fois-ci avec une part de psychologie, on a l'impression d'y être.

Philippe Torreton : C'est effectivement ça. J'ai envie de plonger les gens dans ce que vivent mes personnages et pas seulement les amener à être spectateurs de ce qu'ils vivent. C'est pour ça que je me bats avec la narration. J'ai horreur quand je lis, des pages et des pages qui décrivent la robe de la fille ou la moustache du monsieur. Ce sont aux gens d'imaginer cela. Dans les quelques retours de lecture que je commence à avoir, les gens me disent qu'ils ont une image très précise d'Alice, le personnage féminin ou de Jean, alors que je ne les décris pas du tout physiquement. Ça, ça m'enchante.

J'aime qu'on me rende actif, en tant que lecteur, je n'aime pas quand on me donne tout.

Philippe Torreton

à franceinfo

Je voudrais qu'on parle de ce mot "courage" parce que j'ai l'impression qu'il est vraiment au centre de cet ouvrage.

Oui, il y a un courage de vivre, mais d'autant plus courageusement que mon personnage Jean Fournier n'a pas les mots alors que, paradoxalement, il a envie d'écrire. Il aime écrire, il aime les mots aussi. Il écrit pour tous ces morts qu'il a vus autour de lui pendant la Grande guerre, mais c'est vrai qu'il ne les a pas pour lui. Il est silencieux, il est taiseux, mais en même temps, il est là. C'est pour ça que j'ai mis cette phrase de Giono : "L'essentiel n'est pas de vivre, c'est d'avoir une raison de vivre". Il faut vivre.

Il y a beaucoup de vous dans cet ouvrage. Il y a de votre mémé, de votre père aussi dont vous abordiez le parcours dans Jacques à la guerre, mais là vous approfondissez en rentrant dans la tête de ces soldats, des souffrances, des blessures assassines et comment se reconstruire après. Avez-vous perdu par moments cette croyance en la vie ?

Non, jamais. J'ai des exemples familiaux qui sont de sacrées boussoles. Ce serait malvenu pour moi, avec cette mémé et ce père, de baisser les bras face à mes petits malheurs. Ce sont des gens qui ont continué à vivre, à travailler, à aimer les autres, à faire en sorte que les enfants, les petits-enfants, les arrière-petits-enfants s'en sortent.

Que gardez-vous de votre père ?

Peut-être les mauvais jours, une certaine façon de m'emporter, un côté éruptif, mais ce que j'espère aussi, l'abnégation dans le travail.

J'aime bien mon métier de comédien. J'aime bien les répétitions, apprendre mon texte. J'aime ça. J'aime le boulot.

Philippe Torreton

à franceinfo

Je voulais qu'on parle un peu de votre maman. Elle est à l'origine de votre métier de comédien, en vous inscrivant à un stage d'initiation.

Ce sont mes parents, sur les conseils d'un professeur de français. Devant ma timidité un peu maladive et handicapante, il leur a dit : "J'anime un club de théâtre et je pense que ça lui ferait du bien". Je n'ai pas eu le choix, mais c'était pédagogique, presque une prescription médicale. Après, ils ont été un peu affolés quand ils ont vu que ça me plaisait beaucoup trop, avec ce fameux deal : "Passe ton bac d'abord !" J'ai passé le bac et puis après, j'ai pu faire du théâtre.

Le théâtre est une révélation pour vous, alors ?

Pas évidente, mais une révélation quand même. Tout de suite, ça m'a plu. Mais cela ne m'a pas guéri tout de suite de la timidité, si tant est qu'on en guérisse parce que je suis beaucoup plus à l'aise pour parler devant les uns et les autres, mais parfois, un tout petit rien peut me déstabiliser énormément. Souvent, les metteurs en scène sont étonnés. Les gens me croient autonome dans le travail, ils me disent : "Toi, on n'a pas besoin de te dire grand-chose". Si, j'ai besoin. À chaque fois, je leur dis que c'est comme les gens qui font des sentiers de randonnée. Quand on ne voit pas le petit bout de peinture rouge et jaune au bout de deux heures, on commence à s'inquiéter, est-ce que je suis bien sur le bon chemin ? J'ai besoin de ça. J'ai besoin de temps en temps qu'on me donne un petit repère pour savoir si c'est la bonne route.

Que vous apporte l'écriture ? On sent qu'avec ce roman, elle prend une autre dimension.

Ça me remplit. J'en suis presque ému en vous parlant parce que je fais un métier, d'entre-deux.

Je crois que l'écriture n'est pas l'art de trouver le mot juste. C'est l'art de trouver le mot injuste, le mot qui ne correspond pas, mais qui, dans la phrase, va éclairer ce qu'on veut dire autrement. Et ça, je trouve ça magnifique.

Philippe Torreton

à franceinfo

Quand on est comédien, on est tout le temps à faire la synthèse entre l'auteur, ce que veut le metteur en scène, ses camarades de jeu, le costume et on doit faire son petit chemin personnel là-dedans. C'est ce qui fait la beauté de ce métier, mais aussi, parfois sa lourdeur.

De temps en temps, un comédien a envie d'être un peu autonome et l'écriture, c'est le royaume de l'autonomie. Quand je suis en face de mon ordinateur, j'ai le monde en face de moi. Je peux tout écrire. Je peux tout me permettre, c'est affolant, mais qu'est-ce que c'est jouissif ! Je ne dépends de personne. C'est un équilibre. Cela me fait aimer davantage mon métier d'interprète.

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