Le monde d'Elodie. Jean-Christophe Rufin : "J’ai toujours trouvé passionnant de se frotter au pouvoir"
L'écrivain et ancien diplomate publie un nouveau roman, "Le Flambeur de la Caspienne". On y retrouve à Bakou, en Azerbaïdjan, un "petit consul" qui lui ressemble beaucoup
Elodie Suigo : Jean-Christophe Rufin, je vais essayer de résumer toute votre vie en quelques mots. Vous êtes médecin et vous avez donné une vingtaine d’années à l’action humanitaire comme pionnier de MSF, Médecins sans frontières. Vous avez aussi dirigé l’AICF, Action internationale contre la faim. Et puis vous êtes passé du terrain aux palais de la république. Vous avez été diplomate, ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie. Cette vie déjà très remplie est traversée par l’écriture. Des essais, une vingtaine de roman, un prix Goncourt en 2001 pour Rouge Brésil, entre autres prix littéraires et, en 2008, votre entrée à l’Académie française. Vous publiez un nouveau roman, Le Flambeur de la Caspienne, aux éditions Flammarion. Un roman qui nous emmène à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, une des anciennes républiques soviétiques. On y retrouve un petit consul, Aurel, que vos lecteurs ont déjà croisé, qui découvre en même temps les charmes de Bakou et l’ambiance délétère d’un pouvoir corrompu qui fait affaire avec les mafias locales. C’est dans cette zone interdite que le petit consul va enquêter. On sent que vous connaissez très bien Bakou...
Jean-Christophe Rufin : C’est une région passionnante. On appelait cela autre fois "le milieu des empires", entre l’empire ex soviétique, russe, la Perse, etc.… Je me sers de ce petit personnage, Aurel, qui est une sorte de double, mais sur un mode loser, comme on dirait en bon français ! Bakou, cela ressemble à un à Paris du XIXe siècle. C’est très très agréable, c’est assez beau et évidemment, Aurel, ce petit consul, a l’habitude d’aller dans des postes un peu relégués et là, il se trouve très bien. Malheureusement, ça ne va pas se passer comme il veut...
C’est forcément inspiré de votre expérience de diplomate en Afrique. Comment avez-vous vécu cette période ?
Ça a été très difficile parce que c’est un poste qu’on m'avait confié, qui est une grande ambassade au cœur de ce qu’on appelle la "Françafrique". Ça existe vraiment la Françafrique ! J’ai toujours trouvé ça très passionnant de se frotter au pouvoir. Je ne dis pas d’avoir le pouvoir, parce que je ne pense pas que j’ai eu beaucoup de pouvoir. Mais pour un romancier, c’est passionnant d’aller voir comment ça marche. J’en ai retiré beaucoup de scènes, beaucoup de portraits, d’émotions. Et comme je suis tenu par le devoir de réserve, je ne peux pas mettre ça directement dans les livres, donc j’ai fait le détour de la fiction en créant ce petit personnage qui est un double et qui me permet de raconter des choses que j’ai vécues ou que j’ai vues sans trahir le secret.
On sent que ça a été compliqué pour vous…
Quand vous êtes diplomate en Afrique dans un poste important, avec beaucoup de collaborateurs, il est clair que vous côtoyez effectivement ces fameux visiteurs du soir, vous savez, ces gens qui sont capables de décrocher leur téléphone et de parler à un président de la république ou à un ministre et donc d’influencer la politique française dans votre dos. Et en effet, la fragilité du diplomate, je l’ai vécue, bien sûr. Il y a des moments où on se sent personnellement un peu en danger et où on voit très bien comment quelqu’un de fragile pourrait basculer dans une forme de dépendance à des forces qui pourraient le manipuler.
L’écriture, ça vous a permis de passer à autre chose, de vous poser ?
J’ai toujours été de toute façon d’abord, je pense, un écrivain. C’est-à-dire que même si j’ai fait d’autres métiers, parce que quand j’avais 20 ans, j’avais une famille qui avait besoin que je gagne ma vie, tout simplement. Donc j’ai travaillé. Et puis il faut avoir une expérience de la vie pour pouvoir écrire. Mais ça a toujours été mon souhait. C’est-à-dire que je me sers de mes expériences de vie pour voir, pour observer.
Médecins sans frontières, action internationale contre la faim, il y a toujours eu cette main tendue, ce désir de faire avancer les choses…
Oui parce que, quand j’ai choisi la médecine, je l’ai choisie en référence à mon grand-père qui m’avait élevé et qui était médecin. Et à l’époque de mon grand-père, la médecine c’était d’abord une discipline littéraire : on apprenait le grec, le latin... et puis c’était une discipline d’engagement. Il y avait eu pendant les deux guerres, - première guerre au front, deuxième guerre dans la résistance- cette idée d’engagement. j’ai toujours conçu ce métier comme un métier de proximité avec les autres, dans lequel on est pas derrière une vitre comme ça se fait beaucoup aujourd’hui mais dans lequel on est dans une communauté quelque soit les aléas et même les drames qu’elle traverse. Donc j’ai essayé de trouver ça. Je ne me sentais pas de passer ma vie dans un couloir d’hôpital. Je pense que l’aventure, il fallait la projeter à l’extérieur. Ça a correspondu aussi à l’aventure de ma génération : l’invention du SAMU et de ces les O.N.G., qui finalement projeté la médecine vers les autres.
Votre prix Goncourt a-t-il changé votre vie ?
Oui, il a changé en tout cas ma vie d’écrivain. Parce qu’avant, je faisais ça un peu dans les marges de ma vie, la nuit, dans les périodes où j’avais un petit peu de temps, etc.… Et je me suis toujours senti très illégitime parce que je n’ai pas une culture littéraire très élaborée. Pendant que les autres faisaient des études de lettres et lisaient La Recherche du temps perdu, moi j’apprenais les collatérales de l’artère machin-chouette ! Donc il fallait que j’acquière une légitimité et le Goncourt, c’est artificiel, mais il me l’a donnée. On m’a dit "Eh bien voilà, maintenant tu peux sortir de la cale du bateau et voyager en première classe. On te reconnaît le droit d’écrire". Ça a été très important.
Le Flambeur de la Caspienne, c’est publié aux éditions Flammarion.
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