Le monde d'Elodie. Tatiana de Rosnay : "Mon roman explore une paranoïa sur un futur qui est déjà là"
"Les Fleurs de l'ombre" décrit une société de surveillance invisible dans un monde ultra connecté. Un futur qui est déjà entré dans notre quotidien.
Elodie Suigo : Tatiana de Rosnay, vous êtes écrivaine, auteure à succès d’une dizaine de livres -des romans, des biographies- . Plusieurs de vos romans ont été adaptés au cinéma, notamment, Elle s’appelait Sarah, onze millions d’exemplaires vendus dans le monde. Votre nouveau roman, paru juste avant le confinement, Les fleurs de l’ombre, édité chez Robert Laffont-Héloïse d’Ormesson nous plonge dans l’ultra moderne solitude, comme dirait Alain Souchon et dans un Paris qui n’est plus tout à fait Paris puisque la Tour Eiffel a été frappée par un attentat. Votre héroïne, Clarissa, est une écrivaine en pleine crise de vie. Elle vient de quitter son mari et emménage dans une résidence pour artistes dans un immeuble neuf et ultra connecté. Elle va peu à peu se rendre compte qu’elle est espionnée en permanence et presque prisonnière de cette résidence…
Tatiana de Rosnay : oui, prisonnière d’une résidence ultra moderne qui est censée aider à mieux écrire. Etant un peu parano et ayant une imagination débordante, elle va vite commencer à se poser des questions sur "Qu’est-ce que c’est au fond cette fameuse résidence CASA ?", qui abrite des poètes, des sculpteurs, des écrivains comme elle... Tout le roman va explorer cette paranoïa concernant ce futur très proche qui est déjà là.
Est-ce que le pire ce n’est pas finalement cette servitude volontaire face a tous ces objets connectés ? Est-on pas nous-mêmes un peu Big Brother ?
Mais oui, mais vous savez Elodie, je dénonce ce monde dans lequel tout se passe par écrans interposés, mais c’est ce qui nous a sauvés aussi pendant ce confinement ! On n’aurait jamais pu faire tout ce qu’on a pu faire sans nos téléphones, nos tablettes, nos ordinateurs, sans Internet… C’est ironique d’ailleurs que ce rapprochement humain soit devenu impossible, puisqu’on n’a plus le droit de se serrer la main, de s’embrasser et que nous ne pouvons plus le faire qu’à travers l’œil de Big Brother.
On ne va pas dévoiler l’intrigue, la raison pour laquelle votre héroïne quitte son mari, mais là encore, l’amour est complètement déshumanisé… On est sur cette pente là ?
On vit dans un monde de plus en plus déshumanisé. Quand on va faire nos courses, on a affaire à des caisses automatiques. Finalement, qu’est-ce qui nous permet de rester humains ? C’est nos fragilités, avec nos défauts. C’est d’être de moins en moins comme des robots. Mais il faut aussi dire que les robots s’immiscent dans tous les pan de notre vie. Notre vie intime, notre vie sexuelle, notre vie artistique… Les robots veillent sur nous, soi-disant, mais on sent que, pour pouvoir faire face a cette vague là, il faut peut-être garder en tête que nous avons ce qu’on appelle un monde imaginaire. Les robots n’ont pas encore ça ! Peut-être que la création artistique, c’est ce qui va nous sauver.
Vous dédiez votre roman à votre père, Joël de Rosnay, un scientifique de renom, directeur de la prospective à la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris. Que pense-t-il de cette défiance à l’égard du numérique, des objets connectés, des robots qui traverse votre roman ?
Vous savez, je craignais beaucoup la réaction de mon père. Je lui ai dédié et il l’a lu alors qu’il était déjà terminé. Ce livre est né des conversations passionnantes que j’ai pu avoir avec lui. Mon père dit souvent : "Le futur m’intéresse parce que c’est là où je vais passer le reste de ma vie". Mon père nous a toujours appris, mon frère ma sœur et moi, à regarder le futur avec un certain optimisme et pas trop d’inquiétude. Mais j’étais heureuse car, quand il a lu mon livre, il m’a dit "Tu ne t’es pas trompée, tu as écrit un roman d’anticipation, tu as écrit une dystopie, mais ce que tu dis est juste dans la façon dont on va gérer cette intrusion dans nos vies privées". Et c’est ça qui m’intéressée en tant que romancière. Ne pas faire étalage de termes techniques que je ne connaissais pas, mais toujours étudier le prisme de cette invasion numérique par le biais de l’intime. Et ce livre c’est ça : c’est comment l’intimité d’une femme va se retrouver mise en danger par… et là, vous verrez bien !
Voilà, trois petits points... Mais il y a toujours cette notion de sentiment qui existe…
C’est la première fois que j’écris sur le futur, mais je reste fidèle à mes sujets de prédilection qui sont les lieux. Les écrivains habitent des lieux et dans ce livre, j’explore les traces de Virginia Woolf et de Romain Gary. Ce sont des traces littéraires qui planent sur ce futur très proche et menaçant.
Vous êtes la marraine de la Ligue des auteurs professionnel et vous militez pour l’amélioration des conditions de création.
La crise sanitaire a encore plus fragilisé la chaîne du livre. Un mot sur la situation précaire des auteurs… La crise du Covid-19 a mis en lumière un statut bancal pour nous les artistes auteurs. Un statut qui est très bancal depuis 1975, qui nous a beaucoup porté préjudice, notamment sur nos droits à retraite. Il y a eu ce fameux rapport Racine, qui propose des solutions très claires et innovantes. C’était un immense espoir mais le rapport n’est pas mis en application. Pour cette fameuse crise du Covid-19, il faudrait que l’État puisse apprendre à gérer ses 270 000 artistes auteurs qui vivent en France. Nous subissons des bricolages qui ne nous permettent pas d’accéder au soutien mis en place pour d’autres professions. Je terminerai en disant qu’il faut absolument que l’État change de méthode pour nous, les artistes auteurs, en créant un fond unique d’État et en arrêtant cette gestion chaotique qui nous plonge dans beaucoup, beaucoup d’inquiétude.
Merci Tatiana de Rosnay, je rappelle le titre de votre dernier roman, Les fleurs de l’ombre et c’est publié chez Robert Laffont Héloïse d’Ormesson.
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