Luz : "Je sais que je ne reviendrai pas dans le dessin de presse"
Luz est caricaturiste de presse, auteur de bandes dessinées, indissociable des journaux Fluide Glacial et Charlie Hebdo. Charlie Hebdo, le journal satirique qu'il a quitté définitivement en septembre 2015, moins d'un an après l'attentat perpétré par les frères Kouachi qui ont assassiné 12 personnes, parmi lesquelles ses camarades de mines : Cabu, Wolinski, Charb, Honoré et Tignous. Ce 7 janvier, c'est son anniversaire et ce matin-là de 2015, il prend son temps et arrive en retard à la conférence de rédaction, ce qui lui sauve la vie. Il a, en guise de pardon mutuel, dessiné le prophète Mahomet en Une du numéro 1178, ce qui l'a rendu célèbre dans le monde entier, mais l’a obligé à être placé sous haute protection policière.
Depuis, son crayon n'a rien perdu de son originalité et de son humour. Il lui sert de confident, d'exutoire comme un porte-voix pour exprimer ses émotions. Force est de constater qu'il a retrouvé ce sourire et on le voit avec Testosterror publié chez Albin Michel ce mercredi 11 octobre 2023.
franceinfo : Testosterror, c'est l'histoire d'un virus qui nous envahit et qui touche les hommes, en tous cas, ceux qui sont "bien équipés", je cite la phrase : "D'une boîte à couilles", et effectivement ils vont perdre de leur testostérone. C'est une façon de dire qu'on est déconstruits et qu'on se reconstruits différemment ?
Luz : En tout cas, mes bouquins sont là pour me fabriquer, ça c'est sûr. Pas forcément pour me reconstruire. Peut-être que certains ont été là pour ramasser le puzzle qui était à terre pendant un certain moment. Testosterror, c'est peut-être autre chose. Même s'il y a toujours eu de l'humour dans mes bouquins, depuis que je suis passé à la bande dessinée en 2015, j'ai remarqué qu'il n'y avait jamais eu un livre entier consacré à la satire. Je pense que ça me démangeait parce que j'en ai fait un bouquin de 300 pages et sur un sujet qui me motive depuis très, très longtemps, qui est le mythe de la virilité. Ce n'est même pas forcément les hommes, c'est : Qu'est-ce que c'est que d'être un homme ?
Alors, quelle dose de machisme et de testostérone constituent l'homme que vous êtes ?
Je crois que mon problème, ce n'est pas la testostérone, c'est la virilité. C'est ce qui m'intrigue et qui m'inquiète le plus. Qu'est-ce qu'il y a de viril en moi ? Ou qu'est-ce qu'il y a de viril qui me déplaît en moi ? Il y a quelques années, je me suis rendu compte que je pissais la porte ouverte aux toilettes, exactement comme le faisait mon grand-père. Je me suis dit que là, il y avait un problème. Est-ce que c'est une question génétique ? Est-ce que c'est une question hormonale ? Ou est-ce que c'est juste parce que je reproduis le patriarcat que j'avais en face de moi quand j'étais gamin ? Et c'est peut-être un des points de départ du bouquin.
Quelle est la réponse alors ?
La réponse, c'est que j'ai encore du boulot. Et maintenant, je ferme la porte.
Est-ce que vous avez changé ?
"Dans mon histoire, j'avais envie que cette pandémie fasse exploser un des tabous de la virilité qui est le fait de pleurer en public. Ça fait partie des trucs très compliqués pour pas mal de mecs. Moi, je suis un mec qui pleure. Il faut pouvoir pleurer pour faire un peu moins le dur."
Luzà franceinfo
Oui, j'ai progressé. Je ne suis pas un féministe d'hier, mais je suis pas un féministe d'avant-hier non plus. Ça prend du temps. On change. Mais justement, si ce bouquin est là, c'est parce que j'ai l'impression que les hommes n'ont pas tant changé que ça, malgré #MeToo. Le mâle Alpha est toujours là. Le travail sur l'égalité homme-femme, ce travail féministe a été fait par les femmes comme si les mecs se déchargeaient de cette charge mentale militante sur elles. À l'inverse, ils s'en méfiaient alors qu'en fait, je pense que les hommes sont plus dominés par des hommes que par les femmes.
Là, vous racontez une pandémie et finalement, vous, vous êtes quasiment confiné, puisque vous êtes sous protection policière. Quel effet ça vous a fait de voir les autres confinés ?
Quand elle est arrivée, je me suis dit: mais quelle matière scénaristique incroyable ! Je me suis dit qu'il y avait quelque chose à en tirer. De tout drame, il y a quelque chose à tirer. Je considère que j'ai beaucoup de chance d'avoir ce truc-là. C'est pour ça : N'empêchez jamais vos enfants de dessiner à l'école ou ailleurs ! Qu'ils aient toujours une activité culturelle parce que cela vous sauve, tout le temps.
"Grâce à ce petit truc que j'ai dans les mains, j'arrive à utiliser cette terre un peu grasse, un peu sombre pour en faire quelque chose d'un peu solaire. C'est pas mal."
Luzà franceinfo
Au sortir de ces attentats, avez-vous eu peur que la caricature s'arrête ?
Ma première question a été de savoir si j'allais continuer à dessiner. Je n'ai pas su tout de suite que j'allais arrêter le dessin de presse. Je sais maintenant que je n'y reviendrai plus, mais ma curiosité de dessinateur de presse est restée malgré tout en moi et je vais continuer à la porter. Plutôt que de faire plusieurs dessins sur plein de sujets différents, finalement, on embrasse un sujet, on parle de la société en tant que telle et on fait des bouquins de 300 pages !
Que représente le dessin pour vous aujourd'hui ?
Ça représente une respiration comme la musique. Avec la musique, j'expire avec le dessin j'inspire.
Pour terminer, que représente Testosterror ?
J'aimerais bien que ce bouquin, qui est quand même une comédie graphique, soit pris un tout petit peu de biais pour se dire : "Ah peut-être que Jean-Pat, c'est moi". Mon personnage, Jean-Pat, n'est pas un méchant, finalement, il construit un autre homme. Un autre homme est possible.
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