"Ils m'ont dit 'On veut Charlie Hebdo, on veut Charb'" : le témoignage glaçant de Coco au procès des attentats de janvier 2015
La dessinatrice a été entendue, avec d'autres rescapés de la tuerie de "Charlie Hebdo", mardi devant la cour d'assises spéciale de Paris.
Elle est la première de Charlie Hebdo à avoir croisé les frères Kouachi, ce mercredi 7 janvier 2015. "Ils m'ont appelée 'Coco Coco', j'ai été surprise, ça a été d'une fulgurance dingue." Petite veste vert bouteille, cheveux bruns relevés en chignon assortis à son masque noir, la dessinatrice Corinne Rey, dite Coco, a livré un témoignage bouleversant au cinquième jour du procès des attentats de janvier 2015.
A la barre, devant la cour d'assises spéciale de Paris, cette femme de 38 ans rembobine : "Je suis arrivée au journal pour un stage de dessin en novembre 2007. Quand j'ai rencontré cette rédaction, ça a été comme une révélation", s'enthousiasme cette "athée", à l'époque "timide et réservée". Son premier dessin est publié en 2008 dans l'hebdomadaire satirique. Suivent des piges régulières jusqu'à ce matin fatidique.
"On était contents de se retrouver"
"Ce mercredi 7 janvier, j'ai déposé ma petite fille à la crèche à 9 heures, je me suis arrêtée à un Franprix acheter un paquet de galettes car il y avait beaucoup de gens gourmands autour de la table", sourit-elle. A la conférence de rédaction, l'ambiance est "bonne". "On était contents de se retrouver. Je me souviens d'avoir chambré Tignous car il était un peu en avance, Charb dessinait déjà à son bureau."
La conversation tourne essentiellement autour du livre de Michel Houellebecq, Soumission, et de "ces jeunes qui partaient faire le jihad" en Syrie. Charb, Bernard Maris et Cabu s'invectivent. "Là, j'ai eu envie de partir un peu plus tôt, je ne peux pas vous expliquer pourquoi", confesse la dessinatrice, qui s'éclipse discrètement et descend fumer une cigarette avec Angélique Le Corre, chargée des abonnements.
Le récit, souriant jusque-là, bascule : "Les terroristes sont arrivés au moment où on sortait de l'immeuble." Chérif Kouachi l'attrape par le bras et la pousse dans la cage d'escalier, suivi par Saïd Kouachi. Ils referment la porte sur Angélique Le Corre, qui reste bouche bée.
J'ai pu sentir une force et une détermination qui émanaient d'eux. L'un s'est mis derrière moi avec son arme. Charb dessinait tellement bien les armes que je savais que c'était une kalachnikov.
La dessinatrice Cocodevant la cour d'assises spéciale de Paris
Commence l'ascension de l'escalier. La cour d'assises monte dans les pas de Coco, dont la voix se brise. "Ils m'ont dit 'on veut Charlie Hebdo, on veut Charb'." Dans une "détresse absolue", la dessinatrice se trompe d'étage. "J'étais en incapacité de réfléchir. Pensant que cela me serait fatal, je me suis mise comme ça." Elle s'accroupit dans la salle d'audience, les mains sur la tête. "Je disais 'pardon, pardon'. J'ai pensé mourir exécutée ici au premier étage quand soudain ils ont dit 'pas de blague sinon on te descend'." Longue pause. "C'était l'effroi en moi."
"Le silence, un silence violent"
Coco finit par trouver le bon étage et compose le code permettant l'accès à la salle de rédaction. "Je sentais que les terroristes approchaient de leur but, je sentais une excitation à côté de moi, poursuit-elle, le souffle court. J'ai avancé comme un automate, un fantôme."
J'ai entendu un tir, je me suis retournée, j'ai vu Simon [Fieschi] tomber de son siège. Ma première pensée absurde a été de me dire 'c'est nul le bruit d'une arme, ça m'avait l'air sec, tac tac'.
La dessinatrice Cocodevant la cour d'assises spéciale de Paris
La dessinatrice court se réfugier sous un bureau. La suite n'est que "bruit de chaises", éclats de voix, "tirs saccadés" ponctués d'"Allahou Akbar". Coco entend cette phrase lancée à sa collègue Sigolène Vinson : "Je ne te tue pas parce que t'es une femme et si tu lis pas le Coran…" Et puis plus rien. "Le silence, un silence violent." Coco se lève et découvre alors l'étendue du massacre. Le corps du correcteur Mustapha Ourrad, d'abord. Puis celui du garde du corps de Charb, Franck Brinsolaro. Dans la salle de rédaction, "j'ai vu les jambes de Cabu. Je les ai reconnues car des miettes sortaient de son manteau, il mangeait un morceau de pain." Le décompte macabre se poursuit. "J'ai vu Wolinski, j'ai vu Elsa [Cayat] et j'ai vu Charb. Le côté de son visage était d'une pâleur extrême." En tout, les frères Kouachi ont assassiné onze personnes dans les locaux du journal. Ils font une douzième victime dans leur fuite, le policier Ahmed Merabet.
Des blessés se manifestent. Il y a Riss. Coco, qui a suivi des cours de secourisme, ne sait plus comment faire des points de compression. "Tout était blanc dans ma tête." Puis Philippe Lançon, assis au fond de la salle. "J'ai pensé 'il n'a plus de visage', mais je savais que ce n'était pas un point vital et j'ai pu garder un peu mon sang-froid. Il a essayé de m'écrire des choses pour que j'appelle sa mère, son frère."
Coco voit arriver l'urgentiste Patrick Pelloux. L'entend crier "Charb ! Charb mon frère". Elle prévient la crèche et son conjoint. Elle ne pourra pas venir chercher sa fille. "Après ça, nous sommes allés au théâtre [où étaient accueillies les victimes]. Et puis voilà."
C'est le talent qu'on a assassiné ce jour-là, c'étaient des modèles pour moi, des gens d'une extrême gentillesse, qui avaient un vrai regard sur le monde.
La dessinatrice Cocodevant la cour d'assises spéciale de Paris
Coco explique qu'après les attentats, elle a continué à dessiner pour Charlie afin de "s'occuper l'esprit" et parce que ce journal était "ce qui restait de plus précieux". "Quant à la vie privée, ça a été difficile, j'avais l'impression de ramener un monstre à la maison." Elle résume le tourment de nombreux survivants entendus avant et après elle mardi et mercredi : "Je ne suis pas blessée, je n'ai pas été tuée, mais cette chose qui m'a traversée est absolument effroyable et je vivrai avec jusqu'à la fin de mes jours."
"Ce n'est pas moi la coupable là-dedans"
Le sentiment d'"impuissance" la hante encore, cinq ans après. Malgré tout, "j'ai mis du temps à le comprendre, ce n'est pas moi la coupable là-dedans. Les seuls coupables, ce sont les terroristes islamistes, les Kouachi, et leurs complices." "Plus largement, il y a des complices dans la société, qui ferment les yeux devant l'islamisme et qui baissent leur froc devant l'idéologie, lance-t-elle. Si j'ai voulu parler à ce procès, c'est aussi parce qu'il y a un problème de société."
"On juge des hommes pour complicité, j'attends que justice soit faite, poursuit la dessinatrice sans un regard pour les onze accusés présents. Ici, c'est la loi des hommes qui règne, pas la loi de Dieu comme les terroristes ont voulu le faire entendre. Alors je fais confiance à la justice."
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