Marie-Claude Pietragalla : "La danse est une pensée au quotidien et une douce dépendance"
Marie-Claude Pietragalla est danseuse et chorégraphe, étoile du Ballet de l'Opéra de Paris de 1990 à 1998, nommée par Patrick Dupond à l'issue de la représentation de Don Quichotte. Elle a interprété tous les grands rôles du répertoire et depuis 2005, elle a fondé sa propre compagnie avec Julien Derouault, danseur et chorégraphe. Cette compagnie, Le Théâtre du Corps, en 18 ans, a déjà donné 900 représentations devant presqu'un million de personnes. Elle est actuellement sur scène, en tournée dans toute la France, avec deux spectacles en alternance, La femme qui danse et La leçon.
franceinfo : Vous dites que "la danse est une pensée au quotidien". Ça veut dire que vous vous réveillez danseuse, vous vivez danseuse et vous dormez danseuse ?
Marie-Claude Pietragalla : Oui. Alors, c'est plutôt une philosophie de vie. Je pense que le mouvement est partout autour de nous. Après, c'est le propre de l'artiste de regarder les choses à travers son prisme et à travers son art et peut-être de rêver à un monde différent. Donc oui, dans ce spectacle La femme qui danse, c'est vrai que je dis que la danse est une pensée au quotidien et une douce dépendance, parce que c'est vrai que ça a nourri ma vie jusqu'à maintenant et je pense que ça la nourrira jusqu'à la fin.
La femme qui danse a comme décor la scène et une poursuite qui, évidemment, vous éclaire. Vous racontez votre histoire, ce qui fait sens. Vous parlez du désir, du déséquilibre et pourtant, la précision de vos gestes nécessite un équilibre parfait...
C'est ça. C'est-à-dire que, à travers mon expérience et c'est ce que je dis d'ailleurs, à la fin de chaque spectacle, le texte est le fil rouge de ce spectacle. C'est un texte que j'ai écrit il y a quelques années, une réflexion sur la danse.
J'essaye, à travers mon expérience personnelle d'artiste, de dépasser tout ça et de parler de la danse, de son universalité, de sa beauté, de sa poésie, son imaginaire, de ce qu'elle nous procure au quotidien.
Marie-Claude Pietragallaà franceinfo
Vous parliez de l'équilibre et des déséquilibres, mais c'est un juste mélange des deux. Parce que le danseur, même s'il est aérien, il est enraciné dans le sol, donc il est très équilibré et en même temps toujours à la pointe du déséquilibre, parce que c'est ça qui fait sa beauté et sa fragilité.
On se rend compte à quel point, d'ailleurs, tout est vraiment parfaitement maîtrisé, en gardant le sourire, en réussissant à parler pendant que vous dansez, ce qui n’est pas simple d'ailleurs...
Oui, c'est une vraie technique qu'on a développée au sein du Théâtre du Corps avec Julien depuis plus de dix ans. C'est vrai qu'on n'a rien inventé dans le sens où il y a toujours eu en scène des acteurs et des danseurs. Sauf que là, c'est complètement différent puisque les acteurs deviennent les danseurs. Donc c'est ça qui est la grande difficulté, aussi bien dans La femme qui danse que dans La leçon qu'on présente, puisque c'est le texte de Ionesco. C'est très intéressant de pouvoir donner corps à ce texte parce que pour en avoir parlé avec la fille d'Eugène Ionesco, Marie-France, qui a adoré le spectacle, elle m'a dit : "C'est là où le corps a ce pouvoir incroyable d'emmener le spectateur dans l'inconscient des personnages". C'est-à-dire, certes, il y a le texte, il y a l'histoire, il y a ce qui va se dérouler et en même temps, le corps dit autre chose et c'est ça qui est fabuleux.
Il y a une vraie caisse de résonance avec ces deux spectacles et évidemment votre vie puisqu'à dix ans déjà, vous réussissez le concours d'entrée à l'école de danse du Ballet de l'Opéra national de Paris. Selon votre directeur de l'époque, vous étiez déjà déterminé avec un vrai caractère...
Et ça, c'est Claude Bessy qui dit ça ! Ça a toujours été quelque chose chez moi, que les gens de mon entourage ne comprenaient pas, parce que je me considère comme un artisan. Je vais remettre l'ouvrage en permanence et je ne vais pas me satisfaire de ce que j'ai.
J'ai toujours cette envie d'aller creuser un détail, un regard, une lumière aussi, je suis metteure en scène, donc j'ai toujours cette envie d'aller plus loin.
Marie-Claude Pietragallaà franceinfo
J'ai le sentiment que si on se satisfait de ce qu'on a, ça s'arrête. Les choses meurent, on ne leur donne pas vie. C'est très bizarre comme sensation, mais j'ai toujours l'impression qu'il faut être en marche dans l'action et non pas dans le côté de contempler, de se dire : " Bon, bah voilà, c'est déjà pas mal, j'ai fait certaines choses, je suis contente de moi". Je suis rarement contente de moi.
Vous parlez de grâce, d'harmonie. Êtes-vous en harmonie totale ?
Est-ce qu'on est vraiment en harmonie totale avec soi-même ? Je ne sais pas, parce qu'on est toujours tiraillé. Il y a toujours les démons... Mais oui, quand même, moi qui suis quelqu'un d'impatient, je sais un peu où je vais. Ce qui est rare. Je ne vous aurais pas dit ça, il y a dix ou 15 ans. Je sais, en tous les cas, vers quoi j'ai envie d'aller et ce qui m'anime et ce qui me passionne et ce qui est ma raison d'être dans ce métier. Le spectacle vivant, pour moi, est quelque chose d'incomparable. D'être sur une scène, la relation avec le public ou même être dans la salle en tant que créateur et d'entendre la réaction des gens. Le plaisir qu'on peut donner au public. Je dis le plaisir, mais ça peut être les interrogations, ça peut être aussi être percuté aussi par un propos chorégraphique. Moi, j'aime toutes les réactions, je pense que c'est quelque chose qui est fondamental pour moi.
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