"Noir" : Sylvain Tesson publie un florilège de ses dessins de pendus pour "conjurer la mort avec une espèce de tendresse ironique"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’écrivain voyageur Sylvain Tesson. Il publie "Noir", un carnet de croquis de pendus en noir et blanc.
Sylvain Tesson est un écrivain voyageur. Son quotidien ou presque, depuis son plus jeune âge, ce sont les voyages et les expéditions. À chaque aventure naissent une histoire, des carnets de voyage, des livres ou des films. Il est lauréat de nombreux prix littéraires, parmi lesquels le prix Goncourt de la nouvelle en 2009 pour Une vie à coucher dehors et le prix Renaudot en 2019 pour La Panthère des neiges.
Il publie un carnet de textes et de dessins intitulé Noir aux éditions Albin Michel, un florilège de dessins de pendus, en noir et blanc.
franceinfo : Cela fait 30 ans que vous dessinez à la plume des croquis de pendus ou de suicidés. Vous avez analysé le pourquoi ?
Sylvain Tesson : Non, parce que, précisément, je ne suis pas très analyste de nature. J'aime bien l'idée que, parfois, on fait des choses sans savoir pourquoi et surtout sans avoir besoin d'expliquer pourquoi.
Au sortir de la lecture de cet ouvrage, on se dit : "Mais pour qui se pend-il ?" Alors que finalement, tout va bien dans votre vie.
Oui, je ne me prends pas pour un futur pendu. C'est même le contraire. Je n'ai aucun appétit pour la mort. Je la regarde avec de la peur, évidemment, mais je la conjure en lui adressant tous les jours, par l'intermédiaire d'un petit croquis de pendu, une espèce de sourire.
"J'ai un appétit tellement immense pour la vie que j'ai considéré qu'il fallait regarder la mort avec une espèce de tendresse ironique."
Sylvain Tessonà franceinfo
La mort vous accompagne d'ailleurs jusqu'au bout des doigts puisque vous portez des bagues avec des têtes de mort. Elles vous rappellent tout simplement, ce que beaucoup d'humains oublient, c'est que nous sommes, toutes et tous, mortels.
Oui, ces bagues, ces bijoux s'appellent les vanités. Les vanités, c'étaient ce que peignaient les peintres du XVIIᵉ et du XVIIIᵉ siècles quand ils voulaient représenter le caractère éphémère de la vie. Ils peignaient sur leurs tableaux des crânes, des insectes, des plumes, des fleurs, des fruits, des instruments de musique. La tête de mort vous regarde et elle vous dit : "Je suis ce que tu seras et je fus ce que tu es". Et ce n'est pas du tout macabre, c'est même le contraire. Plus vous vous entourez de fétiches qui vous montrent des squelettes et qui vous signifient que la mort est là, qu'elle vous guette en embuscade, plus vous aimez la vie.
En 2014, vous êtes tombé d'un toit. L'accident est très grave puisque vous allez avoir 20 fractures et huit jours de coma artificiel. Votre cœur va s'arrêter deux fois de battre et pourtant vous allez continuer à croquer la vie à pleines dents, mais en regardant différemment la mort.
Oui mais enfin, je précise que ces pendus et ces suicidés, ces croquis, je les ai faits bien avant mon accident. J'ai commencé quinze ans avant. Finalement, cet accident m'a confirmé ce dont j'avais l'intuition, à savoir qu'on est bien peu de chose. J'ai aimé me dire que je jouais un peu avec le feu et je crois que ça n'a rien de macabre. C'est au contraire une manière de décider que puisqu'on aime beaucoup la vie, puisqu'on la considère, puisqu'on la chérit par-dessus tout, autant la mettre en jeu de temps en temps, parce que le fait de la mettre en danger va accroître sa valeur.
Vous respectez beaucoup les pendus, à travers cet ouvrage. Et il y a un mystère qui se développe autour du pendu parce qu'un pendu est mort, mais en même temps, il reste droit.
"Je coiffe ces dessins sous la recommandation de ce très beau vers de Baudelaire dans 'Les Fleurs du mal' : 'Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes !'"
Sylvain Tessonà franceinfo
Oui, il est mort, mais il reste debout devant la mort. Il n'est pas encore au ciel, mais il ne touche déjà plus la terre. Il se balance, mais il reste digne. Il pend du ciel, il nous surplombe et je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit de gore ou de morbide dans mes dessins. Ils sont plutôt tendres.
Je voudrais juste revenir sur le succès que vous avez déjà eu tout au long de ce parcours et celui de La Panthère des neiges. Comment avez-vous vécu cette notoriété ? Cette adoption de la part du public ?
C'est merveilleusement agréable. Ça permet de rencontrer beaucoup de lecteurs. Vous appelez cela un succès, moi, j'appelle ça une faveur de librairie dont je suis extrêmement content, dont j'aimerais qu'elle dure, mais qui prouve que tous ces thèmes qui disent qu'il faut préférer le réel au virtuel, il faut préférer la vie immédiate, ici et maintenant, aux chimères que nous promettent les politiques quand ils nous disent que le changement, c'est maintenant ou vivement demain.
Les chimères techniques et électroniques quand elles nous promettent le salut par les puces cybernétiques de la Silicon Valley, eh bien moi je dis simplement qu'il faut préférer à tout ça la vie dans les bois. Alors j'ai la chance que ce discours-là, qui est extrêmement sincère, qui est ce que j'ai au plus profond de moi-même, rencontre une oreille.
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