"On a une petite statuette, sa pyramide, mais aucun document de son règne" : l’égyptologue Véronique Verneuil raconte son aventure sur les traces du pharaon Khéops
Véronique Verneuil est égyptologue et auteure. Elle est aussi l'ancienne épouse du célèbre réalisateur Henri Verneuil, disparu il y a plus de 20 ans, auteur de nombreux films qui ont marqué le cinéma comme La Vache et Le prisonnier (1959), Le Président (1961) ou encore Un singe en hiver (1962). Elle a d'abord commencé en tant que journaliste après des études de lettres classiques, puis elle s'est tournée vers l'égyptologie à l'Université de Genève puis à l'École pratique des hautes études à Paris, avant de partir au Caire et à Damas. En avril 2023, elle a publié le livre Chéops - Je suis l'éternité aux éditions Orients. Un ouvrage écrit à quatre mains avec son ami, l'archéologue Zahi Hawass.
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franceinfo : C'est un livre qui raconte la divinité, le pharaon, mais aussi et d'abord l'enfant, l'ado et l'homme. Une partie qu'on ne connaît pas tant que ça, finalement.
Véronique Verneuil : Oui, on a voulu faire un roman d'apprentissage puisqu’on ne connaît rien du pharaon Khéops, pratiquement rien. On a une petite statuette de lui, on a sa grande barque funéraire, évidemment sa pyramide, mais on n'a aucun document vraiment du règne. Il fallait être à la fois archéologue, égyptologue pour pouvoir retransmettre l'esprit d'une époque et en même temps être romancier pour entrer dans la tête d'un mec dont personne ne connaît rien.
Le livre démarre sur la naissance chaotique de Khéops, quasi-miraculeuse racontée par sa mère. C'était le point de départ que de raconter un peu ce personnage hors du commun avec une entrée dans la vie un peu hors du commun aussi ?
On a voulu redonner la place aux femmes. On a voulu faire parler les femmes de l'époque, donc on a commencé par sa mère. On a voulu un peu recadrer la mode un peu féministe qu'il y a aujourd'hui, vous savez, où toutes les femmes d'Egypte étaient soi-disant libres, reines, etc. En fait, c'était un peu comme aujourd'hui, ça n'a pas tellement progressé en 4 600 ans. Un petit peu, un petit peu, mais justement, on a voulu insister sur le fait que les reines, les princesses étaient d'abord des ventres à fournir des enfants pour la dynastie. On a voulu faire raconter cela par sa mère, qui est une personne emblématique du livre, qui est une femme passéiste, traditionnelle, etc, qui est dure, mais qui est aussi une femme avant tout.
Encore aujourd'hui, la pyramide de Khéops reste mystérieuse. On n'a pas encore tout découvert. Est-ce que ce n'est pas ce qui nourrit cette envie d'en savoir encore un peu plus ? C'est fascinant tout ça.
Quand on voit le trésor d'un petit Toutankhamon qui n'était rien du tout et dont la plus grande partie du trésor n'était même pas faite pour lui, vous imaginez ce que pouvait être le trésor d'un Khéops !
Véronique Verneuilà franceinfo
C'est fascinant parce qu'on a toujours en nous l'esprit caverne d'Ali Baba. Quand on pense à l'Egypte, on pense à ses trésors, on pense à son or. Aujourd'hui, les scientifiques vous disent : "Non, mais aujourd'hui, vous savez, en archéologie, ce qu'on aime, c'est traduire des textes, c'est approfondir l'histoire". Mais attendez, la substantifique moelle, ce n'est pas de trouver un trésor ?
C'était important pour vous de parler de la place des femmes à l'intérieur de cet ouvrage. Votre ex-mari, Henri Verneuil, ne souhaitait pas forcément que vous travailliez. J'ai l'impression qu'il y a un petit clin d'œil !
Évidemment. Il aurait eu 103 ans, ce n'était pas du tout ma génération. Il était d'une génération où quand on avait une femme dans sa vie, on la gâtait, on l'entretenait, le mot est laid, mais enfin, on la gâtait. Et cette femme ne devait pas travailler. Elle devait être une espèce d'égérie présente à la maison. Elle ne devait surtout pas rentrer en contact avec le monde du travail qui est un monde difficile, qui est un monde où, peut-être, on se salit et c'est un monde où je pouvais aussi peut-être rencontrer d'autres hommes. On ne sait jamais ! Et donc il préférerait que je reste à la maison.
Et en même temps, vous avez réussi à vous accomplir très vite. Vous n'avez jamais rien lâché finalement.
Je n'ai jamais rien lâché parce qu'en fait, on avait fait un deal. Moi, je travaillais. Il m'a dit : "Non, tu ne travailles plus parce que je ne veux pas que tu ailles voir des gens que je ne recevrais pas à ma table". Alors, j'en ai profité, j'ai dit : ok, je ne travaille pas, mais j'étudie, car j'ai toujours eu besoin d'avoir une curiosité intellectuelle à satisfaire. J'ai donc étudié pendant nos 17 ans de mariage. J'ai eu un sponsor qui m'a payé des études et donc ça a quand même été un enrichissement personnel pour moi et après, c'est devenu une passion. Pour lui, c'était un exotisme. Sa femme aimait l'Egypte, elle lisait les hiéroglyphes, c'était rigolo et c'est devenu une telle passion que j'ai quand même divorcé d'Henri Verneuil, de ce géant du cinéma, de ce type extraordinaire pour aller m'établir au Caire. Parce que je crois que j'ai un côté casse-cou, aventurière, et que quand on aime un homme à 25 ans, à 40 ans, on l'aime, mais pas de la même façon. Et puis, on s'aime soi aussi. Je m'aimais et j'ai voulu un peu me réaliser donc je suis partie.
Que représente le livre Chéops - Je suis l'éternité pour vous ?
Dans ‘Chéops – Je suis l’éternité’, l'important était de faire parler tout le monde et de montrer qu'il y avait une chaîne humaine ininterrompue qui a permis pendant 30 ans de construire cette pyramide de Khéops.
Véronique Verneuilà franceinfo
Je pense que ce n'est pas uniquement un roman historique de plus. On n'aime pas trop la catégorie roman historique, il paraît que c'est démodé, mais c'est quand même un roman historique. On a voulu que ce soit un livre, un péplum, c'est-à-dire accessible à tout le monde, même ceux qui ne connaissent pas l'égyptologie. Ceux qui connaissent, vont voir des clins d'œil. Ceux qui ne connaissent pas ne verront pas tous les clins d'œil, mais ils pourront apprécier. C'est un livre d'abord humaniste, un livre sur les hommes et les femmes, comment ils vivent ensemble. C'est un livre social, à savoir qu'on a décrit la société de la IVe dynastie depuis le paysan, l'artisan, du bas de gamme jusqu'au sommet. C'était aussi important pour nous de donner la parole à des petites gens qu'on n'entend pas souvent dans les romans historiques et de donner la parole aussi aux femmes qui sont parfois considérées comme un cheptel.
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