Philippe Geluck se livre dans un ouvrage d'anecdotes personnelles : "Je suis resté un sale gamin"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 28 octobre 2024 : le dessinateur belge Philippe Geluck pour la publication "Tout est vrai" aux éditions Casterman.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Le dessinateur belge Philippe Geluck, à Paris, en décembre 2022. (YVON LOUE / MAXPPP)

Philippe Geluck est dessinateur et créateur du célèbre Chat, ce personnage né en mars 1983 sur commande d'un quotidien belge. Ses remarques, réflexions et pensées n'ont depuis jamais quitté les lecteurs et fans des 24 albums déjà sortis. Philippe Geluck a publié, le 16 octobre 2024, l'ouvrage "Tout est vrai", aux éditions Casterman. Une série d'anecdotes qui ont marqué sa vie ainsi que celle de ses proches.

franceinfo : Cet ouvrage est une belle façon de vous raconter. Pourquoi aujourd'hui, alors que jusqu'à présent, vous n'avez absolument rien dit ?

Philippe Geluck : C'est vrai que depuis tout ce temps, je me suis toujours exprimé à travers ma marionnette et c'est une façon de pouvoir dire des choses sans qu'elles ne semblent provenir de moi. Or, c'est moi qui le fais parler, je vous le garantis. Tout ne me concerne pas, je parle de mes grands-parents et de mes amis, par exemple.

Vous démarrez cet ouvrage en parlant justement de votre grand-père et de votre oncle. Vous racontez qu'ils achetaient un seul pyjama pour deux, l'un portait la veste, l'autre le bas. C'était important de rendre hommage à ceux qui vous ont donné envie de raconter des histoires ?

Au final, j'en raconte très peu, alors que je pourrais faire un livre sur chacun. Dans l'histoire familiale, il y a eu un acteur professionnel, l'oncle de mon grand-père. Il est parti aux États-Unis, il est devenu une vedette à Broadway et mon grand-père a rêvé de faire ce métier. Malheureusement, il y a eu la guerre de 14-18, il est devenu militaire, puis il a fait la seconde guerre aussi. Mes parents se sont rencontrés en faisant du théâtre amateur, donc on est toujours sur la scène et moi, je deviendrai comédien en 1975. C'est finalement parfois après plusieurs générations qu'un rêve se transforme.

Pour la plupart des gens, vous êtes dessinateur, mais finalement, ce qui vous a attiré en premier lieu, c'est vraiment le théâtre. D'ailleurs, vous avez joué dans un film d'André Delvaux dans lequel vous aviez huit ans. Il vous a rappelé 17 ans plus tard.

En fait, André Delvaux, grand réalisateur belge, m'appelle pour jouer un rôle dans un film. Mon nom est au générique, mais en cinquième position et des amis vont voir ce film et ils m'appellent après. Ils me disent : "On a vu ton nom au générique, mais on ne t'a pas vu dans le film". Je me dis que ce n'est pas possible et effectivement, dans une scène, ça se passe pendant la guerre, Marie-Christine Barrault est réveillée en pleine nuit, et elle voit de l'autre côté de la rue une voiture de la Gestapo qui s'arrête et des types qui vont frapper à une porte. Un type sort de la maison, on le prend, on le met dans la voiture, eh bien, ce type-là, c'était moi.

"Je suis apparu quatre secondes et demie dans ce film, mais par amitié, André Delvaux m'a mis au générique."

Philippe Geluck

à franceinfo

Ce qui ressort dans tout cet ouvrage, c'est la liberté d'expression. Entre chaque anecdote, de temps en temps, il y a des dessins qui sont dédiés à l'actualité. Est-ce que le fait de dessiner aujourd'hui et depuis vos débuts vous a offert cette liberté ?

Oui, et merci à cet art qui est tant réprimé dans des pays dictatoriaux. Je ne vous raconte pas le quotidien d'un dessinateur d'humour iranien, chinois ou nord-coréen, c'est juste impossible. Dans nos pays, on peut encore s'exprimer à travers cet art-là. J'essaye de produire tant que je peux sur des sujets parfois très grinçants. Il y en a quelques-uns dans le livre et je pense que, si l'intention est louable dans le dessin, c’est-à-dire si elle n'est pas dans l'insulte et que c'est une façon de réfléchir au sujet, je pense qu'il y a encore de belles années devant nous.

C'est pour ça que le Chat n'a jamais été attaqué et c'est ce qui fait votre plus grande force ?

Je l'ai été une fois, c'était dans un hebdomadaire français. Après l'affaire DSK, j'avais dessiné Le Chat qui tenait dans les mains un journal sur lequel j'avais écrit : "L'affaire DSK, le coup de bite qui a changé l'histoire de France". Et là, ils se sont dit : "Non, on ne peut pas". Or, c'était la vérité. Mais je veux garder cette liberté-là parce qu'en fait, c'est une démarche de sale gamin et ça, c'est ma vie. En fait, je suis resté un sale gamin.

On a l'impression qu'au fil du temps, votre regard n'a toujours pas changé ?

La seule chose qui a changé, c'est que je pensais très sincèrement, quand j'avais entre 16 et 18 ans, que la démocratie était si forte qu'elle était là pour toujours chez nous. Je me rends compte 50 ans plus tard que ce n'est pas forcément vrai. L'espoir, je le garde, j'ai des petits enfants et donc pour eux, je dois me battre pour que le monde qu'on va leur laisser soit vivable. Le combat n'est pas gagné, mais il ne faut jamais baisser les bras.

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