Plantu : "Je continue à dessiner parce que je ne sais pas faire autre chose"
Plantu est dessinateur de presse et caricaturiste. Artiste, évidemment, jusqu'au bout des ongles, ses parents souhaitaient qu'il soit médecin et il l'est devenu grâce à son crayon, soignant nos angoisses, les affres de notre société, par le rire, le sourire et les réflexions que provoquent ses dessins. Il a travaillé pendant presque 50 ans au journal Le Monde en croquant notre société, notre quotidien, nos vies. Il a reçu de nombreux Prix, mais il est toujours resté très discret, soucieux de transmettre, de partager.
Il a publié un album : L'année de Plantu 2022 - Sale temps pour la planète chez Calmann-Lévy graphic.
franceinfo : Il m'était impossible de ne pas démarrer cette nouvelle année avec vous. Quelles sont les bonnes résolutions qu'on pourrait imaginer ?
Plantu : Privilégier la culture. Je pense que c'est ça qui va nous sauver. On est quand même habités par tout ce qui nous est arrivé cette année, qui n'est pas très drôle. Donc quelqu'un, ou un Martien qui voudrait savoir ce qui s'est passé depuis 12 mois, il a là du bon matos parce qu'il y a énormément de citations, notamment de Radio France, je le dis en passant. Et à chaque fois je me suis dit : ah oui, ça c'est bien pour mon bouquin. Je continue à dessiner parce que je ne sais pas faire autre chose.
Vous avez passé plus de 50 ans au journal Le Monde. Vous avez grandi avec ce journal. C'est ce qui est décrit à travers vos dessins. C'est que vous étiez avant tout, pendant toute cette durée, un élève.
J'ai un peu raté mes études. Je suis incompétent dans beaucoup de domaines évidemment, mais au moins grâce au journal Le Monde, à tous ces journalistes qui m'ont fait des cours particuliers, même en économie. Il y a même des économistes qui disent : "Oh oui, quand on a vu un dessin de Plantu, on a tout compris" et ça c'est sympa parce que moi je n'ai toujours pas compris.
"Je suis un traducteur, je suis un interprète."
Plantuà franceinfo
Les journalistes du Monde m'ont donné l'opportunité de rencontrer des dessinateurs du monde entier. Et je comprends mieux la planète grâce à ces conversations que j'ai eues, grâce à l'ouverture que le journal et le Quai d’Orsay m’ont donnée.
Comment vous vous présentez ?
Artiste. C'était un mot qui était un peu interdit à la maison parce que quand je faisais le zigoto à la maison, mes parents disaient "Arrête de faire l'artiste". Moi, quand j'étais petit, j'étais incapable de parler. Quand je voulais draguer les filles, c'était plutôt avec des dessins. Il n'y avait que comme ça que je le pouvais, je n'arrivais pas à leur parler. Mais en tout cas, ce qui est sûr, c'est que j'ai besoin d'avoir un feutre à la main, comme si je m'appuyais sur une canne. Il paraît que quand j'ai fait mes trois premiers pas, on m'avait donné un crayon et j'ai cru que j'étais appuyé sur quelque chose.
On voit beaucoup de fois une colombe sur vos dessins, ce n'est pas un hasard. Le premier était pendant la guerre du Vietnam en 1972.
Mon premier dessin dans Le Monde, c'était une colombe en effet, il y a juste 50 ans. Et quand je fais des dessins sur l'Ukraine... Il y a un dessin où il y a une petite Ukrainienne qui est sous les bombes et qui dit : "Mais un jour, on va aller voir nos amis russes et puis on va essayer de reconstruire" parce qu'il y a un amour de la Russie, il y a un amour de la culture russe, un amour de la culture ukrainienne et c'est une époque où on dézingue un peu tout. Et à la fois, quand on dézingue Pouchkine, il y a des statues de Pouchkine qui sont déboulonnées, je me dis : mais non, il faudra les reconstruire. Il faudra réintroduire Pouchkine, Dostoïevski, Tolstoï. On va réinventer un amour de Russie et un amour d'Ukraine quand il y aura la paix.
De penser tout le temps qu'il y a une possibilité de pacifisme, c'est aussi ça votre travail ? C'est ce qui vous a valu aussi ce Prix du document rare, un dessin signé auparavant par Yasser Arafat et par Shimon Peres. C'était un énorme symbole d'une possibilité de dialogue.
C'est Arafat qui a demandé à me voir quand j'étais à Tunis où je faisais une expo. Et donc je me suis dit : il y a un truc à faire et j'ai été manipulé dans le bon sens du terme, c'est-à-dire qu'il avait besoin de moi, à un moment où ils n'étaient pas capable de dire : "Je reconnais l'État d'Israël et je reconnais l'État palestinien". Et en fait, ils avaient besoin d'un dessinateur. C'est tombé sur moi.
"C'est vrai que ce dessin signé par Yasser Arafat et Shimon Peres, qui est dans ma chambre, se retrouvera un jour dans un musée entre Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest, bien entendu."
Plantuà franceinfo
Il y a un dessin qui est énorme, page 82 de cet ouvrage, sur le Bataclan. Comment vivez-vous ça, le fait qu'on ait pu chahuter la liberté d'expression, ce à quoi vous avez consacré votre vie ?
Évidemment, je pense à toutes ces victimes que je dessine dans cet hommage. Je pense à ce degré d'incompréhension parce qu'on a affaire à des gens qui ont une autre culture et je rêverais à chaque fois de discuter avec des gens qui sont tellement différents, qui pensent peut-être que comme je suis caricaturiste, je vais dézinguer toutes les religions alors que moi je m'en fiche. On est donc dans l'ignorance quelque part et je le dis dans le bouquin d'ailleurs, il ne faut quand même pas oublier que le gars qui a coupé la tête de Samuel Paty ne supportait pas le Caprice des Dieux parce qu'il croyait que c'était un fromage polythéiste. Quand on en est là, on se dit "Putain, il y a du boulot !" Eh bien ce boulot-là, c'est ce qu'on appelle la culture et s'il y a une incompréhension, il faut se mettre autour de la table avec les différentes religions, bien entendu, mais aussi les différentes prises de position politiques.
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