"Tintin n'est pas romanesque, il est mythique": Didier Platteau nous plonge dans les coulisses des aventures du héros à la houppette
Didier Platteau est éditeur de bande dessinée belge et fondateur des éditions Moulinsart consacrées au monde d'Hergé. Avant cela, il était aux éditions Casterman, une précision nécessaire puisque dès 1934, avec Les Cigares du Pharaon, Louis Casterman a publié en albums les aventures de Tintin qu'Hergé autoéditait jusqu'alors, en partenariat avec son mentor, l'abbé Wallez. Tout ça pour dire, qu'Hergé accompagne Didier Platteau depuis fort longtemps. Il l'a d'ailleurs rencontré en 1973, dix ans avant sa mort. Il a décidé avec les éditions Moulinsart et la société Tintinimaginatio de lancer une nouvelle collection qui contient 23 volumes sur toutes les aventures de Tintin. Une série qui nous explique et nous emmène dans les coulisses de la création de tous les tomes de cette œuvre colossale que nous a laissée Hergé.
franceinfo : Chaque tome correspond à un album précis, décortiqué dans l'ordre des parutions de l'époque. Pourquoi cette nouvelle collection ?
Didier Platteau : Je crois qu'au niveau du grand public, les coulisses, mais en même temps les secrets d'une création, ça intéresse, comment Hergé est parvenu à créer cette œuvre mythique quand même, qui dépasse même son siècle. Hergé était archiviste, donc il en a beaucoup gardé lui-même.
"Il était temps de restructurer toutes les archives d’Hergé et de pouvoir les publier pour un grand public, de manière très accessible, avec le modèle le plus simple. Titre après titre, en commençant par l'album mythique, ‘Tintin chez les Soviets’ qu'Hergé a créé quand il avait 21 ans."
Didier Platteauà franceinfo
Parlons de cette création. On est en 1929, Hergé décide de créer un personnage. Il y a déjà Totor et puis ça devient Tintin. On change les vêtements, mais il a déjà cette âme de reporter.
Il faut lire la planche 11 de Tintin chez les Soviets. C'est là que tout se passe. Tintin tombe d'un arbre dans une Mercedes décapotable et il est poursuivi par la police allemande. Pour fuir, il met le moteur en route. Il accélère violemment. Pour bien montrer la vitesse, la mèche de Tintin qui était sur son front, les 11 premières pages, se relève et quand la voiture s'arrête, Tintin garde sa mèche en houppette. C'est incroyable. Je suis toujours fasciné en me demandant, mais pourquoi n'a-t-il pas rabattu cette houppette ? Et c'est resté pour l'éternité.
Comment est-il devenu Hergé ? Parce qu'au départ, il ne signe pas Hergé.
"Hergé s'est forgé son propre style graphique, toujours motivé par la lisibilité extrême."
Didier Platteauà franceinfo
D'abord, il avait une passion pour l'illustration. Il a essayé toutes les techniques, il voulait devenir publicitaire, illustrateur. Il ne pensait pas du tout à être auteur de bande dessinée car pour ainsi dire, ça n'existait presque pas. Il a évolué comme ça, avec une rage de dessiner incroyable et un travail considérable. Quand on voit dans les archives, c'est très visible dans l'album sur les Soviets, puisqu'on montre, tout ce qu'il faisait en parallèle. Il travaillait sept jours sur sept. On comprend qu'après, au milieu de sa vie, il eut parfois des dépressions, tellement il travaillait.
Tintin, c'est une partie de la personnalité d'Hergé. Ce qui est incroyable quand on regarde bien, c'est que son compagnon de route, c'est un Fox-terrier et ça montre peut-être aussi à quel point il ne croyait pas forcément totalement en la nature humaine.
Oui, en fait, le chien joue le rôle de l'humain que Tintin ne tient pas parce qu'il est parfait. Il ne peut pas grogner, il ne peut pas râler, etc. Et Milou est là pour ça. Et que va-t-il se passer au bout d'un moment quand le capitaine Haddock va arriver ? C'est lui, le râleur. Les personnages qui entourent Tintin, le garçon parfait, aventureux dans lequel tout le monde peut se glisser pour vivre ces aventures sont des personnages, féminins, masculins qui ont du caractère, des défauts. Eux sont des personnages romanesques, alors que lui n'est pas romanesque. Il est mythique.
Vous qui l'avez croisé, comment était Hergé dans la vie ?
Je peux raconter la petite anecdote de mon premier entretien que j'ai toujours en tête. Casterman m'avait mandaté pour dire à Hergé qu'il ne travaillait pas beaucoup, "il faudrait essayer de le faire travailler, il se repose trop, il voyage tout le temps". J'avais un plan en tête et quand je rencontre Hergé dans son bureau, je commence après les quelques politesses quand il m'accueille à déballer mes idées. Je vois qu'il ne m'écoute pas du tout, puis il m'arrête et me dit : "Je vous arrête, votre chemise est magnifique". Comme c'était le mois de mai, j'avais mis une chemise pleine de couleurs, de petits carrés de couleurs et le coloriste, lui, ne voyait que les couleurs de ma chemise. J'ai arrêté mes plans et on est allés manger ensemble. On a parlé de tout sauf de la bande dessinée et juste au moment de partir, il m'a dit : "Voilà, je suis dans un moment, si on me présente des urgences, je prends le dossier, j'ouvre mon tiroir, je le mets dedans, je le ferme et je dis : et voilà, ce n'est plus urgent". J'ai connu cet homme serein avec qui j'ai travaillé après dans cet esprit-là.
Tintin au pays des Soviets, c'est le premier tome, il y en a 23. Vous avez prévu d'en sortir un tous les combien ?
Tous les deux mois. Ce sont de très beaux livres.
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