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Yasmina Khadra publie son nouveau roman, "Les Vertueux" : "C'est mon plus beau texte"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’écrivain algérien, Yasmina Khadra. Il vient de publier son nouveau roman, "Les Vertueux", aux éditions Mialet-Barrault.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'écrivain algérien Yasmina Khadra. (JOEL SAGET / AFP)

Yasmina Khadra est un homme aux multiples facettes. Tour à tour sous-lieutenant puis commandant de l'armée algérienne pendant 25 ans, il est aussi écrivain depuis ses 18 ans. Des recueils et des romans sont nés de cette passion, ainsi qu'un héros incorruptible dans un Alger dévoré par le fanatisme et les luttes du pouvoir, le commissaire Brahim Llob. Cet homme virtuel va lui permettre d'obtenir une renommée internationale avec plusieurs millions de lecteurs conquis. Il est traduit en quasiment 50 langues, à tel point qu'il est entré dans le dictionnaire, en 2013.

Le 24 août dernier, Yasmina Khadra a publié son nouveau roman, Les Vertueux, aux éditions Mialet-Barrault.

franceinfo : Votre roman est une fresque dans l'Algérie de l'Entre-deux-guerres. Nous sommes en 1914. Nous découvrons une famille qui n'a qu'une une seule chose, finalement, c'est l'amour des personnes qui vivent au sein de ce foyer. C'est aussi un peu un regard sur à quel point on ne maîtrise pas forcément son destin.

Yasmina Khadra : Le destin, c'est quelque chose qui nous échappe, ça nous construit quelque part, mais le destin ne nous dit pas tout. Le destin, justement, c'est toute la philosophie de la vie.

Le destin nous propose des choses, quelquefois des pièges, quelquefois des voies salutaires et nous laisse nous débrouiller.

Yasmina Khadra

à franceinfo

Pourquoi ce titre, Les Vertueux ?

Parce que, tout simplement, j'ai voulu offrir à mon lectorat qui ne m'a jamais abandonné ce que je pouvais donner de mieux. C'est mon plus beau texte.

C'est limite cinématographique, c'est-à-dire qu'on a l'impression d'y être. C'est aussi toute la palette des sentiments. C'est difficile d'écrire les sentiments ?

Pour quelqu'un qui aime, non. Quand on est dans la détestation, on se trahit donc, on écrit très mal sa détestation. Mais l'amour, c'est d'une fluidité exceptionnelle. Et moi, j'aime les personnages, qu'ils soient mauvais ou bons, tyranniques ou victimes. Si je ne les aime pas, je ne peux pas accéder jusqu'au parfum d'eux-mêmes.

J'ai appris à aimer le monde tel qu'il est. C'est comme ça que je vis pleinement ma vie.

Yasmina Khadra

à franceinfo

Il y a Yacine, qui représente cette famille, cette union avec ce père qui a été amputé d'une main au cours d'un duel qui fait la manche mais qui ne le dit pas. Il y a une énorme pudeur dans cette écriture. Ça fait partie de vous ?

J'ai peur. J'ai tellement peur du lecteur que j'essaye de le mériter ! Il y a une pudeur c'est certain. J'ai toujours été un peu timide, même si les agressions qui ont gravité autour de ma personne m'ont obligé à réagir. Mais au fond de moi, je suis un peu Yacine.

Ce livre est dédié à votre maman. Vous dites : "A ma mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui m'a inspiré ce livre".

Elle n'est plus là, oui. Son absence a été une source d'inspiration très forte. Tout ce que j'ai imaginé, c'était à travers son regard. C'est une femme analphabète, mais qui était poète. C'est elle qui m'a initié à la beauté du verbe. C'est vrai qu'elle n'écrivait pas, mais elle savait dire les choses telles qu'elles sont, telles qu'elles les voient donc avec un regard assez singulier parce que vrai.

Le père occupe une place très importante dans cet ouvrage.

Peut-être qu'il n'a pas occupé une place importante dans ma vie. Je me suis toujours demandé pourquoi le père est toujours triste à regarder. Peut-être que mon père m'a beaucoup manqué.

Il était officier de l'Armée de libération nationale, qui a constitué le bras armé du Front de libération nationale en guerre de 1954 à 1962. Vous avez été envoyé très vite à l'armée.

J'avais neuf ans.

Est-ce que vous avez pris le temps justement de grandir ?

J'ai vieilli sans grandir. Mon père avait tellement d'amour pour moi. J'étais toujours à proximité de son chagrin et la seule façon pour lui de pouvoir vraiment changer de vie, c'était de m'emmener ailleurs, très loin de ses yeux et de son regard. Et il m'a mis dans cette école pour pouvoir bâtir son rêve à lui.

Vous avez servi l'armée algérienne pendant 25 ans. Ça représente quoi l'Algérie pour vous ?

On ne comprend pas pourquoi il n'arrive pas à s'éveiller à ses potentialités, à ses richesses, à ses bonheurs. Il ne peut pas être digne de tous les sacrifices, mais on l'aime. C'est une folie. Peut-être que c'est ça qui nous aide quand même à avancer dans la vie.

Vous avez décidé, très vite, de faire valoir vos droits à la retraite.

J'étais fait pour écrire. Je ne pouvais pas décevoir mes parents. Chez nous, les parents sont sacrés. Quand ils ont décidé, pour moi, une carrière militaire, j'ai dit : OK. J'ai donné 25 ans de ma vie à ses parents. Maintenant, je vis pour moi, mais je ne pouvais pas le faire sans passer par l'écriture.

Vous avez décidé de vous appeler Yasmina Khadra. C'était une façon pour vous de remercier votre épouse. C'est une belle façon aussi de saluer l'avancée des femmes. Vous avez écrit un livre dans lequel vous raconter l'histoire de deux couples d'Afghans sous le régime des Talibans. On y est d'ailleurs. Vous en pensez quoi de ça ?

Je suis affligé parce qu'on est revenus à la case départ et c'est terrible. Je pense surtout à ces jeunes filles qui ont appris à être modernes, à chanter, à rêver, à faire des métiers de journaliste. 20 ans d'espoir et tout est tombé en poussière. Et c'est terrifiant.

Comment peut-on interdire aux gens de vivre leur vie ?

Yasmina Khadra

à franceinfo

Est-ce que vous êtes fier du parcours que vous avez déjà accompli ?

Je suis surtout fier de l'homme que je suis, sincèrement. Je voudrais quitter ce monde sans avoir sévi et sans avoir fait du tort à quelqu'un. C'est même la philosophie de ce livre. Ce livre m'a guéri de moi-même. C'est bizarre, mais quand j'ai terminé ce livre, j'avais le sentiment d'avoir soigné une tumeur monstrueuse en moi.

Heureux, aujourd'hui ?

Je vais attendre la réaction de mon lectorat d'abord !

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