Affaire Navalny : l'Europe compte sur le gazoduc Nord Stream 2 pour mettre la pression sur Moscou
En pleine affaire Navalny, alors que la Russie réprime brutalement les manifestations de l'opposition, le chef de la diplomatie européenne est à Moscou. Le négociateur compte sur le projet Nord Stream 2 pour faire pression.
Le Haut Représentant de l’Union européenne, Josep Borrel, entame jeudi 4 février une visite de deux jours en Russie. En pleine crise judiciaire et politique liée au traitement d'Alexeï Navalny et de ses partisans, il veut convaincre Moscou de libérer l'opposant politique et de stopper la répression brutale des protestations.
Pour faire pression, le diplomate européen dispose d'un argument de poids : les menaces d'abandon du Nord Stream 2. Ce gazoduc, dont les 1 200 kilomètres de tuyaux sous la mer Baltique doivent permettre au gaz de passer directement de la Russie à l'Allemagne, est un très gros projet, à près de 10 milliards d'euros. Loin de faire l'unanimité : depuis son origine, il est l'objet de vives critiques, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union européenne.
- - - La construction du gazoduc Nord Stream II est à nouveau au ralenti. Censé importer une grande partie du gaz russe consommé en Allemagne, ce projet controversé suscite de nombreux débats. Eclairage, par @LoHumbert4 https://t.co/gtAN5LECU4 pic.twitter.com/hZiNUTDBjh
— Causons d'Europe (@CausonsE) January 28, 2021
Complémentaire du Nord Stream 1, en place depuis dix ans, ce gazoduc doit multiplier par deux les capacités de livraison de gaz russe vers l'Europe, où la demande est toujours plus forte. Et acheminer 55 milliards de mètres cubes de gaz par an.
Nord Stream 2 devait entrer en service fin 2019. Il est aujourd'hui terminé à 95%, mais les travaux ont été suspendus pendant plus d'un an : plusieurs pays européens, comme la Pologne et le Danemark, inquiets de voir l'Union devenir trop dépendante de la Russie, ont multiplié les recours.
Sanctions américaines
Les Etats-Unis, franchement opposés au projet, n'ont pas hésité à dégainer des sanctions contre les entreprises impliquées dans sa construction et son exploitation, notamment le géant russe Gazprom - qui cofinance le projet avec cinq groupes européens, dont le français Engie.
Le Congrès a notamment adopté des mesures visant toutes les entreprises proposant « des services de tests, d’inspection ou de certification nécessaires ou essentiels à l’achèvement ou à l’exploitation du gazoduc Nord Stream 2 ». Ces sanctions sont « des outils importants pour contrer l’influence néfaste de la Russie » expliquait en décembre 2020 le sénateur républicain Jim Risch.
Un levier d'action pour mettre la pression sur Moscou
Aujourd'hui, d'autres États menacent de tout arrêter. En France, le président Emmanuel Macron exprimait en août 2020 « des réserves » sur le projet. Aujourd'hui, Clément Beaune, le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, va plus loin, en expliquant que la menace d'abandon est le meilleur moyen de faire pression sur Moscou.
Affaire Navalny : la France favorable à l'abandon du projet de gazoduc Nord Stream 2, selon le secrétaire d'État chargé des Affaires européenneshttps://t.co/ger4n2db73 pic.twitter.com/TaxgDT4LJP
— franceinfo (@franceinfo) February 1, 2021
Après l'annexion de la Crimée, en 2014, après l'empoisonnement d'Alexei Navalny l'an dernier, des sanctions ont déjà été prises contre des responsables russes : gel de leurs avoirs européens, révocations de visas. Avec un impact très limité.
Mettre en pause le projet Nord Stream 2 serait au contraire bien plus efficace pour mettre la pression sur Vladimir Poutine, en raison de la place centrale qu'occupent les exportations d’énergie dans l’économie russe.
La France est d'autant mieux placée pour prendre la tête de la fronde que ses importations russes représentent une faible part de ses importations totales de gaz (20% en 2018), deux fois moins importantes par exemple que le gaz norvégien (39%).
L'Allemagne ne veut pas renoncer au Nord Stream 2
Mais les Européens ne sont pas tous au diapason. Les divergences sont particulièrement fortes avec l’Allemagne, la première concernée.
Outre-Rhin, on ne veut considérer ce projet que sous l'angle économique, et surtout pas géopolitique. Il faut dire que des 27, l'Allemagne est le plus gros importateur de gaz russe. Avec l'arrêt du nucléaire programmé en 2022, la sortie du charbon, en 2038, le pays a un besoin vital de ce gaz, et veut sécuriser son approvisionnement.
Si la France critique aussi ouvertement le gazoduc Nord Stream 2, c'est parce qu'elle peut se le permettre grâce à une situation énergétique bien plus enviable que celle de l'Allemagne : https://t.co/YD5Ebxj9l0
— Aymeric Pontier (@aympontier) February 4, 2021
Il y a quelques jours encore, Angela Merkel, qui a toujours voulu laisser ouvertes les lignes de communication avec le Kremlin, a redit son attachement au Nord Stream 2.
Mais le sujet fait de plus en plus débat : à quelques mois des élections, les Verts demandent la suspension du gazoduc. Les Grünen pourraient très bien devenir le prochain partenaire de la CDU au sein du gouvernement. Leur voix est donc importante. La chancelière risque bien de se retrouver isolée, autant sur le plan intérieur que sur la scène européenne.
Pour Moscou, un projet avant tout politique
Pour la Russie, abandonner ce serait renoncer à des rentrées d'argent conséquentes : 80 % des exportations de gaz russe sont tournées vers l’Europe. Mais pour Moscou, Nord Stream 2 est avant tout un projet politique, destiné à affaiblir l’Ukraine (qui de fait n'est plus un pays de transit et ne bénéficie plus d'importantes indemnités) et à diviser les pays européens. Et ça... c'est déjà fait.
Mais Vladimir Poutine n'a sans doute pas envie de laissser un boulevard aux Américains, qui en cas d'abandon sont déjà prêts à vendre leur gaz de schiste en Europe.
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