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Brésil : le torchon brûle entre l'armée et Jair Bolsonaro

En écartant son ministre de la Défense et trois chefs d'état-major, le président brésilien Jair Bolsonaro ouvre une crise inédite avec l'armée.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Le président brésilien Jair Bolsonaro et le commandant de l'armée de terre Edson Pujol en 2019. (SERGIO LIMA / AFP)

En deux jours, la crise d'autoritarisme du paranoïaque Jair Bolsonaro a eu raison de son ministre de la Défense, remercié en trois minutes chrono à l'occasion d'un vaste remaniement surprise. Mais surtout, elle a entraîné la démission des trois principaux chefs militaires du Brésil, trois généraux à la tête de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la marine, qui sont partis mardi 29 mars en claquant violemment la porte.

Une démission collective sans précédent dans l'histoire du Brésil, qui ouvre donc une vraie crise de confiance avec le chef de l'État. En voulant la mettre au pas, il se l'est surtout mise à dos. 

Mettre au pas les voix dissidentes

Quand Jair Bolsonaro, par ailleurs ancien parachutiste, parle de l'armée, il dit "mon" armée. Et il n'a pas accepté que ces derniers mois ses dirigeants ne pensent pas comme lui et le fassent savoir.

Edson Leal Pujol, le général quatre étoiles très influent qui dirige la puissante armée de terre, a par exemple refusé de condamner la Cour suprême quand elle a rétabli l'ancien président Lula dans ses droits politiques, début mars. Cette décision a transformé le patron de la gauche brésilienne en concurrent le plus sérieux de Bolsonaro pour la présidentielle de 2022. Le chef de l'État n'a pas vraiment apprécié ce silence, parce qu'il est de moins en moins populaire et qu'il a besoin du soutien public de l'état-major.

Préparation d'un coup d'État ?

Au Brésil, les militaires forment une institution très respectée et très soucieuse de l'État de droit dans un pays qui reste profondément marqué par une dictature qui a duré vingt ans, de 1964 à 1985. Un épisode dont le leader d'extrême-droite se dit au passage très nostalgique.


Depuis, la Constitution interdit à l'armée de s'ingérer dans les affaires publiques. Or, l'an dernier, Jair Bolsonaro a incité ses partisans à réclamer une intervention militaire contre le Congrès et la Cour Suprême. Sous couvert d'anonymat, certains hauts gradés l'accusent même d'avoir voulu les entraîner dans un coup d'État.

Plus récemment, le président brésilien a menacé d'imposer l'état de siège uniquement pour punir les gouverneurs qui avaient pris des mesures de confinement contre le coronavirus.

Corona-sceptique notoire, Jair Bolsonaro ne veut surtout prendre aucune mesure impopulaire qui pourrait compromettre sa réélection. Même si son pays compte déjà plus de 320 000 morts, l'un des taux les plus élevés du monde, il s'est mêlé aux manifestations anti-confinement. Ça non plus, l'armée n'a pas tellement apprécié.

Un régime civil qui fait une large place aux militaires

Pourtant le gouvernement de Jair Bolsonaro accorde une large place aux militaires, qui jusqu'ici ont tiré profit de sa présidence. Jamais, dans un régime civil, ils n'ont été aussi présents au gouvernement : ils ont les clés de quasiment un ministère sur deux. On les trouve aussi massivement dans l'administration, qui doit aujourd'hui reconnaître son échec dans sa gestion de la pandémie. C'est donc le bon moment pour prendre leurs distances et changer leur image.


Quelles que soient ses motivations réelles, le haut commandement de l'armée est aujourd'hui en rupture avec le chef de l'État. Pourtant, ce n'est pas le cas des officiers et des subalternes, de "la base". Les policiers militaires, notamment, sont beaucoup plus sensibles aux appels du pied du président d'extrême droite et farouchement opposés au retour de la gauche au pouvoir.

Jair Bolsonaro sait qu'il pourra compter sur eux s'il envisage, comme il l'a déjà annoncé, de contester l'élection présidentielle en cas d'échec. On ne le surnomme pas "le Trump tropical" pour rien.

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