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Détourner un avion européen pour arrêter un opposant : la méthode Loukachenko

Indignation internationale après le détournement d'un avion de ligne ce dimanche par les autorités biélorusses. Le vol Ryanair parti d'Athènes devait atterrir à Vilnius, en Lituanie. Il a été contraint d'atterrir à Minsk. Et le militant de l'opposition qui se trouvait à bord a été arrêté.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Roman Protassevich interpellé lors d'une manifestation à Minsk (Biélorussie), le 26 mars 2017. Photo d'illustration. (STRINGER / EPA /MAXPPP)

Ce dimanche 23 mai, le vol RyanAir # FR4978 n'est plus qu'à quelques minutes de sa destination quand il fait brusquement demi-tour. Cap vers Minsk, en Biélorussie.

Un extrait de la conversation entre le pilote et le contrôleur aérien, diffusé par une télévion russe, laisse penser qu'un mail de menace a été envoyé aux services de sécurité de l'aéroport, évoquant la présence d'une bombe à bord. Le détournement du vol devient un impératif sécuritaire. Un MIG-29, un avion de chasse de l'armée, intercepte alors le Boeing-737 et l'escorte jusqu'à Minsk.

Une fois posé, l'appareil et ses passagers sont fouillés. Fausse alerte. Quelques heures plus tard le vol repart, mais sans six passagers dont Roman Protassevitch, arrêté dès son arrivée. Ce journaliste et militant de l'opposition qui s'est réfugié en Lituanie fait partie d'une liste de personnes recherchées par le pouvoir biélorusse pour "activités terroristes".

>>> Quatre questions sur le déroutage d'un avion de ligne par la Biélorussie

Aux yeux de la communauté internationale, l'opération a surtout été commanditée par un dictateur, le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, qui ne recule devant rien pour museler son opposition. Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, dénonce d'"acte de terrorisme d'État".

Roman Protassevitch, opposant influent

Malgré ses airs d'éternel adolescent, Roman Protassevitch, 26 ans, a joué un rôle clé dans la contestation historique qui a suivi la réélection de Loukachenko en août 2020, scrutin jugé frauduleux par la communauté internationale. 

Avec sa chaîne NEXTA, qui compte près de deux millions d'abonnés sur le réseau Telegram, il a diffusé les mots d'ordre des manifestants, partagé les vidéos des rassemblements et des violences policières, dénoncé le harcèlement judiciaire contre les opposants.

Son arrestation a lieu dans un contexte plus large de renforcement de la répression. Car même si les manifestations se sont essouflées, des militants continuent d'être emprisonnés - parfois simplement pour avoir défilé contre le pouvoir. Le 15 mai dernier, deux journalistes biélorusses, dont un pigiste de la Deutsche Welle (DW), ont assuré avoir été torturés lors de leur détention.

Roman Protassevitch risque 15 ans de prison, voire pire. Il l'a dit d'ailleurs aux autres passagers avant de descendre. "Je risque la peine de mort" : la Biélorussie applique encore la peine capitale.

Quelles sanctions européennes ?

Comment la communauté internationale va-t-elle répondre à cet événement ? Pour l'instant les chancelleries européennes crient au scandale, certaines comme la France ont convoqué l'ambassadeur de Biélorussie.

Le patron de l'OTAN a demandé une enquête internationale sur un incident qualigfié de "sérieux" et "dangereux". Washington, par la voix d'Anthony Blinken, s'est joint au choeur de ceux qui réclament la libération immédiate de Roman Protassevitch.

Le vrai test ce sera aujourd'hui, lors du sommet à Bruxelles qui réunit les 27 chefs d'Etat et de gouvernement. L'Europe sera-t-elle capable d'aller au-delà de la condamnation de façade, de se montrer "ferme et unie" comme le souhaite Jean-Yves Le Drian, en prenant de nouvelles sanctions contre le régime ?
90 personnalités sont déjà sur la liste noire des Européens : leur avoirs sont gelés, leurs déplacements dans l'UE interdits. Est-il possible d'aller plus loin ? En interdisant par exemple à la compagnie aérienne biélorusse le survol de l'espace aérien européen ? 

La compagnie lituanienne airBaltic a déjà décidé "d'éviter d'entrer dans l'espace aérien bélarusse jusqu'à ce que la situation devienne plus claire ou qu'une décision soit rendue par les autorités".

Mais prendre des sanctions fortes au niveau des 27 ne sera pas aussi simple. Plusieurs pays comme la Hongrie ou la Grèce n'ont aucune envie de se fâcher avec le parrain de Loukachenko : son "grand frère" russe. Cette histoire abracadabrantesque ressemble à un vrai crash-test pour la diplomatie européenne.

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