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Guerre en Ukraine : le conflit fissure l'Église orthodoxe

La guerre en Ukraine est aussi une guerre... de religions. Le conflit a créé une véritable fracture entre entre deux courants rivaux de l'Église orthodoxe.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Le patriarche Kirill, le primat de l'Église russe orthodoxe à Moscou, le 27 février 2022.  (IGOR PALKIN / RUSSIAN ORTHODOX CHURCH PRESS SE via AFP)

Il y a en Ukraine deux Églises orthodoxes : l'une dépend du Patriarcat de Moscou. L'autre est indépendante, elle s'est officiellement émancipée il y a trois ans, décision historique qui avait d'ailleurs créé de très vives tensions entre les deux courants. Les orthodoxes restés dans le giron de Moscou ont pour chef spirituel ultime le patriarche Kirill, 75 ans, un proche du Kremlin qui partage avec Vladimir Poutine l'obsession de la grandeur de la Russie. Ce sont eux qui possèdent le plus grand nombre de paroisses à travers le pays, mais c'est l'église indépendante qui revendique le plus de fidèles. La guerre a fait voler en éclats cette coexistence déjà difficile.

L'Eglise proche de Moscou n'approuve pas la guerre. En Ukraine, les bombes ont fait vaciller les certitudes des prêtres qui vantaient les bienfaits de leur rapprochement avec le Kremlin. Beaucoup ont pris de la distance avec leur dirigeant, en appelant à résister à l'invasion, dans certains diocèses, on ne prononce plus le nom de Kirill, d'autres religieux ont même diffusé des vidéos où ils réclament de rompre tout lien avec l'Église russe, et de convoquer un concile national pour en décider. Sauf que le patron reste inébranblable. Kirill, l’un des dignitaires religieux les plus puissants du monde, à la tête de plus de 100 millions de fidèles, est animé par la grandeur de son Église.

Et partout où son Patriarcat est historiquement présent, dans tout le territoire de l’ancienne URSS, il porte le même message que Vladimir Poutine. Resté silencieux lors de l’annexion de la Crimée en 2014, il affiche cette fois un soutien beaucoup plus marqué. Le 27 février, à la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou, il justifiait l'intervention en Ukraine. "C'est une guerre contre les 'forces du mal', disait-il, qui veulent combattre l’unité historique entre nos deux pays." Dimanche 6 mars dans sa dernière homélie, une nouvelle fois très politique, il a mis en avant les valeurs traditionnelles russes et critiqué un occident : "décadent".

Le patriarche Kirill a des propos guerriers

En-dehors de l'Ukraine, Kirill est suivi malgré tout par les autres églises qui dépendent de lui mais du bout des lèvres. C'est vrai que le patriarche d'Albanie ou celui de Serbie refusent par exemple de parler de "guerre" ou "d’invasion". Mais personne n'affiche ouvertement son soutien aux propos guerriers de Kirill. Les représentants tchèques et slovaques pèsent leurs mots, ils espèrent que "les liens historiques et spirituels entre les deux pays aideront à résoudre le conflit".

À Jérusalem, on évoque une "crise" sans jamais nommer la Russie. Le nombre conséquent de Russes qui viennent en pèlerinage en Terre sainte représente une source de revenus non négligeables, il ne s'agit pas de se fâcher avec eux. Dans le même temps, les autres courants comme celui de l'église orhodoxe grecque disent tout leur soutien à l'Ukraineet dénoncent un conflit injuste

Ce conflit va reconfigurer l'Église orthodoxe

Cette guerre rebat les cartes. En Ukraine en tout cas, une bonne partie des évêques sous tutelle russe pourraient rejoindre l'église indépendante. La séparation avec Moscou est en marche, il faudra voir si elle se traduit dans les statuts de l'Église et ce n'est pas le genre de chose qu'on règle en temps de guerre. La guerre a fait voler en éclats cette coexistence déjà difficile.

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