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Iran : vent de colère après la mort de Mahsa Amini, symbole de l'oppression du régime

En Iran, la mort de Mahsa Amini, arrêtée trois jours plus tôt à Téhéran par la police des moeurs et de la vertu, suscite un immense mouvement de colère.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La presse écrite iranienne revient sur le décès de Masha Amini, le 18 septembre 2022. (ATTA KENARE / AFP)

Mahsa Amini avait 22 ans, des lèvres rouges cerise sur un joli sourire moqueur. Mardi, alors qu'elle visite la capitale avec sa famille, elle est arrêtée près d'une station de métro : son voile ne cache pas assez ses cheveux. La police des moeurs et de la vertu l'embarque pour un rappel à la loi, à la moralité et aux règles vestimentaires appropriées. Le port du foulard est obligatoire pour les femmes en Iran depuis la révolution islamique de 1979 

Ensuite, tout est plus flou : des témoins assurent qu'à peine montée dans la fourgonnette, Mahsa est frappée par les agents... La police, au contraire, prétend qu'elle est victime d’une crise cardiaque au quartier général de la police. Selon le média iranien Etemad, le frère de Mahsa assure que sa sœur est emmenée à l'hôpital deux heures à peine après son entrée au commissariat et que, pendant qu'il l'attend, à l'extérieur, lui et d'autres personnes entendent des cris. Plusieurs femmes déclarent qu'"ils ont tué quelqu'un à l'intérieur". 

Après trois jours de coma la jeune femme s'éteint à l'hôpital. Sa mort est un choc : la colère du pays tout entier se réveille.

"Mort au dictateur"

Samedi 17 septembre, le jour de ses obsèques dans sa ville natale de Saqqez, au Kurdistan, des femmes enlèvent leur voile et l'agitent en criant au-dessus des têtes. la foule scande "Mort au dictateur", en référence au Guide suprême, l’ayatollah Khamenei. 

Puis, des habitants jettent des pierres contre le siège du gouverneur, avant d'être dispersés par des tirs de gaz lacrymogène. D'autres manifestations similaires ont lieu à Sanandaj, toujours dans la province du Kurdistan.


Dimanche 18 septembre, quasiment tous les journaux iraniens publient la photo de Mahsa et dénoncent la violence récurrente de la police des moeurs. En juillet, une femme battue en garde à vue dans les mêmes circonstances, avait du être emmenée à l'hôpital pour une hémorragie interne, avant de présenter ses excuses à la télévision publique.

Seul le quotidien gouvernemental Iran accuse les réformateurs "d'exploiter les émotions du peuple en utilisant un incident malheureux pour monter la nation contre le gouvernement et le président". 

Contestation en Iran et dans le monde

De nombreuses personnalités politiques, artistiques, religieuses et sportives expriment elles aussi leur colère. Plusieurs joueurs de l’équipe nationale de football écrivent sur Instagram : "Les cheveux de nos filles sont recouverts d’un linceul". Le cinéaste Asghar Farhadi, lauréat de deux Oscars dit quant à lui : "Mahsa est aujourd'hui plus vivante que nous, car nous sommes endormis, sans réaction face à cette cruauté sans fin, nous sommes complices de ce crime". 

Sur les réseaux sociaux, des femmes ordinaires se filment à visage découvert en train de brûler leur hijab ou de se couper les cheveux. 

L'indignation s'étend même au-delà de l'Iran. Sur Twitter, le hashtag #Mahsa_Amini est devenu viral, avec près de 2,8 millions de tweets. Des rassemblements ont eu lieu samedi à Paris et Berlin. L'organisation Human Rights Watch dénonce les discriminations et les violences institutionnelles à l'égard des femmes dans le pays. Même la Maison Blanche juge sa mort "impardonnable".  "Nous continuerons à tenir responsables les dirigeants iraniens pour de telles violations des droits humains", écrit sur Twitter Jake Sullivan, conseiller au président américain sur la sécurité intérieure. Le nom de Mahsa Amini est en train de devenir le symbole de l'oppression du régime iranien.

Les partisans de la ligne dure appellent à punir avec sévérité - et même à fouetter -  celles qui désobéissent à la loi sur le hijab : à leurs yeux, permettre aux femmes de montrer leurs cheveux conduit à la décadence morale et à la désintégration des familles. Ces dernières années, le pouvoir judiciaire a d'ailleurs exhorté la population à dénoncer les femmes qui ne portent pas correctement leur voile.

Le pouvoir tente d'étouffer l'incendie

La télévision officielle montre des images de vidéo-surveillance où l'on voit une femme, présentée comme Mahsa, s'effondrer toute seule au commissariat sans qu'il y ait eu aucun contact physique avec la police. Des images qui ne suffisent pas à convaincre dans un pays où l'opinion est habituée aux manipulations de tous ordres. Selon l’organisation Netblocks, spécialiste en cybersécurité et en gouvernance d’Internet, “depuis l’annonce de la mort de Mme Amini, la connexion a été interrompue en plusieurs endroits du pays, dont la capitale Téhéran et Saqqez. De nombreuses personnes ont déclaré qu’elles n’avaient pas pu charger de vidéos sur Instagram ou envoyer du contenu via Whatsapp”. Or, on le sait, perturber les accès aux réseaux est un grand classique du pouvoir.

Mais la mort de Mahsa a allumé une étincelle. Pour calmer le pays, le président Ebrahim Raïssi, qui a eu une conversation téléphonique dimanche soir avec la famille Amini, a demandé l'ouverture d'une enquête "jusqu'à la clarification de la situation" - le chef du bureau du médecin légiste de Téhéran a déclaré samedi à la télévision d'État que les enquêtes sur la cause du décès de la jeune femme étaient en cours mais qu'elles prendraient trois semaines. Un parti politique réformateur, Etemad Melli, réclame quant à lui l'annulation de la loi sur le hijab obligatoire et la suppression de la police des mœurs. Ce que les Iraniennes, elles, réclament avec force depuis les grands mouvements de contestation de 2017. Sans succès.

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