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L'Algérie ferme le robinet du gaz vers le Maroc et c'est l'Espagne qui trinque

Après la Russie, l'Algérie à son tour utilise le gaz comme moyen de pression : elle met fin au contrat du gazoduc passant par le Maroc qui alimente l'Espagne en gaz.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Site de production de gaz à In Amenas (Algérie). (HANDOUT / BP PETROLEUM COMPANY via AFP)

Depuis 1996, le Maroc est un pays de transit pour le gaz algérien exporté vers l'Espagne et le Portugal. Grâce au gazoduc Maghreb-Europe (GME), qui traverse le pays sur plus de 500 kilomètres et transporte chaque année plus de 10 milliards de mètres cubes de gaz naturel, le royaume touche des droits de péage payés en nature : par du gaz. Et pour les mètres cubes qui manquent, il a droit à des tarifs très avantageux.

Alors que les prix de l'énergie s'envolent, depuis le 31 octobre au soir cette manne est officiellement tarie. Par décision des autorités : le président Tebboune a ordonné au groupe public algérien Sonatrach de ne pas reconduire son contrat avec l'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE), l'opérateur marocain.

Au cœur du conflit, le Sahara occidental

Pourquoi une telle décision ? Pour protester contre des "pratiques à caractère hostile qui portent atteinte à l'unité nationale" dit Alger. Au cœur de la crise, il y a encore et toujours le Sahara occidental. Un dossier qui envenime depuis des décennies les relations entre les deux frères ennemis du Maghreb. L'Algérie, qui soutient les indépendantistes sahraouis du Front Polisario et leur droit à l'autodétermination, ne digère toujours pas le fait que les États-Unis aient reconnu, fin 2020, la souveraineté marocaine sur ce territoire disputé. 

Depuis, Alger se sert du moindre prétexte pour s'en prendre à son voisin. Cet été, le gouvernement a même accusé le Maroc d'être responsable des gigantesques incendies qui ont fait une centaine de morts en Kabylie. Avant de décider, de manière unilatérale, de rompre ses relations diplomatiques avec Rabat.

En août, une petite phrase avait ravivé les tensions : lors d'une visioconférence aux Nations unies, le chef de la diplomatie algérienne rappelle le soutien de son pays à "l'autodétermination du peuple sahraoui". Le représentant marocain réplique : "Plus que tout autre, dit-il, le peuple kabyle en Algérie mérite de jouir pleinement de son droit à l'autodétermination". 

Ce 29 octobre, la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU actant la prolongation du mandat de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (Minurso), n'a rien arrangé. La résolution est jugée "partiale" par les autorités algériennes. Elle "a pour effet de conforter les prétentions exorbitantes de l'Etat occupant [le Maroc], dont elle encourage l'intransigeance et les manœuvres visant à entraver et à pervertir le processus de décolonisation du Sahara occidental", précise le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué. 

Le dernier envoyé spécial de l'ONU sur le Sahara occidental ayant jeté l'éponge, son successeur ­Staffan de Mistura prend justement ses fonctions ce lundi 1er novembre. À lui – une nouvelle fois – de relancer les négociations pour que la guerre du gaz ne se transforme pas en conflit ouvert.

Une décision à l'impact "insignifiant" pour le Maroc

Le Maroc réagit avec dédain, en mode "même pas mal". Dans son communiqué publié dès dimanche 31 octobre, l'Office national de l'électricité explique que la décision algérienne n'aura dans l'immédiat qu'un impact "insignifiant" sur la performance du système électrique national. Le pays a pris ses dispositions.

Et même si les deux centrales qui fonctionnent grâce au gaz algérien s'arrêtent, le consommateur ne s'en rendra pas compte. Car pour compenser, le Maroc pourra soit alimenter ces centrales en produits pétroliers, soit consommer plus de charbon dans certaines centrales, soit importer plus d’électricité, soit un peu de tout à la fois. Le nouveau gouvernement d'Aziz Akhannouch discute d'ailleurs avec Madrid pour que l'Espagne renvoie du gaz au Maroc par le gazoduc abandonné par l'Algérie.

Une hausse des prix pour les Espagnols ?

En revanche, pour l'Espagne, ça risque d'être moins indolore. L'Algérie est le premier fournisseur de gaz naturel du pays. Heureusement, elle ne l'envoie pas par un seul tuyau. Un autre gazoduc, le Medgaz, qui depuis 2011 passe par les fonds marins, va lui continuer de fonctionner. Sauf que le Medgaz est déjà au maximum de sa capacité (8 milliards de mètres cube par an). Comment compenser la fermeture du GME ? 

Les autorités algériennes multiplient les discours rassurants : des travaux d’élargissement sont en cours sur le Medgaz. Et pour que l'Espagne ne manque pas de gaz cet hiver, Alger promet d'augmenter les livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL) par méthanier. Si la question du volume n'est pas un sujet (le pays possède quatre complexes de liquéfaction du gaz), celle du transport l'est davantage car ces bateaux sont rares et les tarifs d'expédition élevés.

La conséquence possible, en bout de chaîne, c'est une possible augmentation des prix du gaz et de l'électricité pour les Espagnols. Ce qui ne serait pas la manière la plus élégante de traiter un partenaire de longue date. 

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