La Russie brouille le système GPS dans le ciel balte, la Finlande suspend des liaisons aériennes
Tout commence la semaine dernière, quand deux avions de la Finnair, deux ATR-72 qui transportent environ 80 passagers et doivent relier Helsinki à Tartu, en Estonie, se retrouvent incapables de se poser sur le tarmac. Il y a trop de perturbations GPS : les instruments de navigation s'affolent, les conditions de sécurité pour l'atterissage ne sont pas réunies. Deux jours de suite, jeudi 25 et vendredi 26 avril, les appareils font demi-tour et reviennent à Helsinki, à 45 minutes de vol.
Finnair est la seule compagnie aérienne à opérer des vols internationaux vers Tartu. Ce lundi 29 avril, elle annonce qu'elle suspend la liaison pour un mois (réouverture des réservations le 1er juin), le temps de trouver une solution pour faire atterrir ses avions sans GPS. Tartu, 100 000 habitants, est la deuxième ville d'Estonie. Et précision importante, elle est bien plus proche de la frontière russe que ne l'est la capitale.
La géolocalisation, plus présente mais plus fragile
Les avions sont équipés d'autres systèmes de navigation, qui peuvent être utilisés quand le GPS est hors service. Mais il faut que ce soit aussi le cas de l'aéroport. Or Tartu ne passe que par la géolocalisation pour gérer les atterrissages. C'est plus efficace que les faisceaux radioélectriques. Mais c'est aussi plus fragile face aux cyberattaques.
D'autant que ce type d'interférences a augmenté de manière très significative depuis l'invasion de l'Ukraine en février 2022. Les pilotes de la Finnair en ont signalé au-dessus de la mer Caspienne, de la Méditerranée orientale et bien sûr de la mer Noire (qui borde l'Ukraine), où il est régulièrement rapporté des cas de "spoofing", des attaques électroniques consistant à tromper un récepteur GPS en lui envoyant de faux signaux.
La mer Baltique, la plus visée
La mer Baltique, où volent des avions de combat et des bombardiers russes, est devenue le principal théâtre de cette guerre électronique invisible mais féroce : depuis août 2023, 46 000 avions y auraient connu des problèmes de GPS, selon un site internet qui publie des cartes quotidiennes de ces attaques.
Selon les experts, le brouillage du GPS est facile à réaliser avec du matériel relativement bon marché. Les navires en sont aussi victimes, au point que la marine suédoise a lancé des avertissements concernant la sécurité de la navigation. "Si quelqu'un éteint vos phares alors que vous conduisez la nuit, cela devient dangereux. La situation dans la région de la Baltique, près des frontières russes, devient trop dangereuse pour être ignorée", dit au Financial Times Gabrielius Landsbergis, ministre lituanien des affaires étrangères.
D'où viennent ces attaques ? Au début du mois, l'Allemagne a déclaré que l'enclave russe de Kaliningrad, nichée entre la Pologne et la Lituanie sur la mer Baltique, était très probablement "à l'origine" d'une série de perturbations, le ministère de la Défense refusant de donner davantage de détails pour "raisons de sécurité militaire". En mars, le gouvernement britannique a lui confirmé qu'un avion de la Royal Air Force qui ramenait le secrétaire à la Défense d'un déplacement en Pologne avait vu son signal GPS brouillé alors qu'il volait près de Kaliningrad. L'une des théories avancées est que la Russie essaye de protéger son enclave contre d'éventuelles attaques de drones ukrainiens.
Des précédents en Israël et à Chypre
On a aussi vu cette technique à l'oeuvre en 2019 en Israël. Cette fois c'est une base russe située en Syrie qui est montrée du doigt. Le site cherche à la fois à se protéger des attaques de drones et à montrer ses capacités en matière de guerre électronique face à la coalition anti-jihadiste emmenée par les États-Unis.
En 2021, une autre action hostile vise le ciel d'Akrotiri, sur l'île de Chypre. Akrotiri est la plaque tournante des opérations britanniques contre l’État islamique. Les eurofighters ou les F-35 qui décollent de la base de la Royal Air Force, pour aller frapper Daesh constatent des interférences dans leurs communications. Là encore les responsables sont vraisemblablement les forces russes déployées en Syrie en soutien de Bachar el Assad.
Discussions au sein de l'UE et de l'OTAN
Une réunion au sommet a déjà eu lieu en janvier entre l'association du transport aérien international et l'agence européenne de la sécurité aérienne. Le ministre des Affaires étrangères estonien Margus Tsahkna en a discuté avec ses homologues de Lettonie, de Lituanie, de Finlande et de Suède. Il le dit très explicitement (via un porte-parole) : "C'est un fait, la Russie affecte les dispositifs GPS dans l'espace aérien de notre région. Cela fait partie des activités hostiles de la Russie". "De telles actions constituent une attaque hybride et une menace pour notre peuple et notre sécurité, et nous ne les tolérerons pas".
Tallin veut aujourd'hui remettre le sujet sur la table pour en discuter formellement avec ses partenaires de l'Union européenne et de l'OTAN. Moscou n'a pour l'instant pas commenté ces accusations.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.