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Le Brésil et l'Argentine se (re)lancent dans l'aventure d'une monnaie commune

Le Brésil et l'Argentine se lancent dans la grande aventure d'une monnaie commune, qu'ils espèrent ensuite étendre à d'autres pays d'Amérique Latine. Mais ce projet a échoué plusieurs fois par le passé.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le président brésilien Lula (à gauche) et le président argentin Alberto Fernandez (à droite), au palais présidentiel Casa Rosada à Buenos Aires (Argentine), le 23 janvier 2023. (MATIAS BAGLIETTO / NURPHOTO via AFP)

Lula a déjà tenté le coup il y a 20 ans, en 2003, la première fois qu'il a été élu président. L'idée n'avait pas abouti, mais il n'y a jamais renoncé. Pour son premier déplacement à l'étranger depuis son investiture, le 1er janvier 2023, le président brésilien est en Argentine pour un sommet régional, le Sommet de la Communauté d'États latino-américains et Caraïbes (CELAC). Il en a profité lundi 23 janvier pour relancer avec enthousiasme ce projet de monnaie commune, qui selon les indiscrétions du Financial Times pourrait s'appeller le "Sur" ("sud" en espagnol).

Attention, "monnaie commune" ne veut pas dire "monnaie unique". Dans un premier temps en tout cas, le "Sur" viendrait en plus de chaque monnaie nationale (le real au Brésil, le peso en Argentine) : il servirait uniquement pour les échanges financiers et commerciaux. Une façon de "réduire les coûts de fonctionnement et notre vulnérabilité extérieure" disent les deux présidents dans leur manifeste commun.

Un binôme naturel...

Pourquoi le Brésil et l'Argentine ? Parce que ce sont les deux plus grandes puissances économiques d'Amérique du Sud (à elles deux elles représentent 5% du PIB mondial); parce qu'elles entretiennent déjà d’importantes relations commerciales - notamment via le Mercosur (auquel sont associés l'Uruguay et le Paraguay).

Et parce qu'à titre personnel les deux chefs d’État, tous les deux à gauche, s’entendent bien depuis longtemps. Créer une monnaie pour leurs échanges serait donc une excellente façon de tourner la page Bolsonaro. "Deux peuples frères se rencontrent à nouveau. Une relation qui n'aurait jamais dû être interrompue et que l'histoire de la fraternité latino-américaine fait renaître", ont déclaré M. Fernández et Lula da Silva dans leur document publié à l'approche de leur rencontre bilatérale ce dimanche. 

Ce dénominateur commun supplémentaire renforcerait leur union sur le long terme (créer "un lien stratégique beaucoup plus profond, qui durera des décennies" dit le président argentin, Alberto Fernandez) et leur permettrait aussi de réduire leur dépendance vis-à-vis de l'hégémonique dollar américain, dans un continent considéré par les États-Unis comme leur chasse gardée.

... Mais un peu bancal

L'objectif, à terme, c'est d'élargir cette union monétaire à toute l'Amérique du Sud, 260 millions de consommateurs. Ça en ferait la deuxième du monde, après la zone euro et devant la zone franc CFA.

Le président vénézuélien, Nicolas Maduro, s'est empressé d'approuver le projet - il y voit une excellente façon de sortir de son isolement économique et diplomatique (En 2017, le Venezuela a été suspendu du Mercosur pour "rupture de l'ordre démocratique").

Mais la volonté politique ne suffit pas. Économiquement, techniquement c'est très complexe. Lula s'était cassé les dents sur ce sujet il y a vingt ans, mais déjà avant en 87, on parlait du "Gaucho" comme monnaie commune... ça n'avait pas marché non plus.

En plus, le binôme de départ est un peu bancal. L’Argentine de 2023 est très endettée, elle n’a plus accès au marché des capitaux et ne peut compter que sur le FMI. L'inflation y a quasiment atteint 95% l'an dernier, et le peso est fortement dévalué. On a vu mieux en matière de convergences économiques. Ca n'en fait pas un partenaire idéal pour le Brésil, où l'inflation n’a été que de 5,8 % en 2022.

"Le premier pas d'un long chemin"

Les deux Banques Centrales de Brasilia et Buenos Aires doivent malgré tout se réunir mi-février pour lancer les premières discussions. Elles doivent avant tout trouver un accord sur un système de garantie pour "accélérer le processus d'approvisionnement et d'exportation des entreprises brésiliennes en Argentine et l'approvisionnement des entreprises argentines en entreprises brésiliennes".

Mais comme l'a dit le ministre argentin de l’Économie : “Ne créons pas de faux espoirs… C’est le premier pas d’un long chemin.” Il a fallu presque 40 ans pour donner naissance à l'euro. Ça laisse de la marge.

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