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Omar Radi, l'indépendance dans le viseur des autorités marocaines

Omar Radi a 34 ans, il est marocain, journaliste, militant et très critique vis-à-vis du pouvoir. Il cristallise les débats autour de la liberté d'expression dans son pays. Son procès devait commencer aujourd'hui à Rabat avec sa présentation devant un juge d'instruction.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
La mère d'Omar Radi tient une banderole lors d'une manifestation de soutien pour son fils journaliste qui comparait devant la justice marocaine à Casablanca, le 22 septembre 2020. (FADEL SENNA / AFP)

Omar Radi ne comparaît pas libre : il est en détention provisoire, depuis deux mois, à l'isolement, dans une prison de Casablanca. Il est accusé de viol, d'atteinte à la sûreté du Maroc et d'"intelligence avec une puissance étrangère" - autrement dit d'espionnage. Des faits très graves qui pourraient lui valoir plusieurs années de prison.

Mais le journaliste, ses proches et les associations de défense des droits de l'homme qui le soutiennent le disent victime à la fois d'un "coup monté", d'un "acharnement judiciaire", d'une "manipulation médiatique" destinés à faire taire une voix trop libre. Insultes, informations personnelles : Human Rights Watch a passé au peigne fin les sites d'information marocains liés au pouvoir comme Chouf TV, Barlamane et Le360. Résultat : entre le 7 juin et le 15 septembre, l’ONG y a recensé 136 articles attaquant Omar Radi et son entourage.

Omar Radi, dans le viseur de la monarchie depuis des années, est un électron libre : membre du Mali (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles), il a écrit plusieurs enquêtes remarquées sur l'injustice sociale au Maroc,  l’économie de rente, la spoliation des terres. Il a aussi révélé une vaste de affaire de corruption impliquant des ministres et des conseillers du roi. L'année dernière, un tweet très critique à l'égard d'un juge qui avait lourdement condamné les porte-voix du soulèvement populaire dans le Rif lui vaut quelques jours de détention et quatre mois de prison avec sursis. Dans la foulée, un rapport d’Amnesty International révèle que son téléphone avait été espionné par les autorités marocaines : une révélation qui fait scandale.

Des poursuites truquées ?


Cette fois, les accusations sont plus graves. Omar Radi refuse le qualificatif de viol : il parle d'une relation sexuelle "consentie" avec une collègue journaliste, la nuit précédant le bouclage de leur journal, quand toute l'équipe dort dans la même villa pour cause de confinement. Il n'est d'ailleurs pas le premier journaliste indépendant dans le viseur du pouvoir à être jugé pour viol. En 2018, au terme d’un procès jugé inéquitable par le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, le directeur du quotidien Akhbar Al-Youm, Taoufik Bouachrine, était condamné à 12 ans ferme pour les mêmes faits. 

Sur la question de l'espionnage, la justice reproche à Omar Radi "d'avoir été payé pour une activité de nature à ébranler la fidélité que les citoyens doivent à l'Etat" : il explique que c'est parce qu'il travaillait pour des cabinets d'intelligence économique au profit d'investisseurs britanniques qui souhaitaient se renseigner sur leurs potentiels partenaires marocains. Pendant qu'Omar Radi répond à une vingtaine de convocations de la Brigade nationale de la police judiciaire, les pétitions se multiplient pour dénoncer des "poursuites truquées", et plus largement un climat de plus en plus "suffocant" pour les voix critiques, aggravé d'ailleurs par la pandémie et l'état d'urgence d'urgence sanitaire.

Depuis son incarcération, ceux qui mettent en doute les accusations des autorités deviennent eux-mêmes cibles de menaces, d’intimidation, de diffamation. Les activistes se font plus silencieux.Chaque fois qu'une tribune est publiée, chaque fois qu'une ONG prend la parole, la contre-attaque est systématique.

Les artistes se mobilisent

Cet été c'était particulièrement visible dans le monde culturel. 400 cinéastes, écrivains et chanteurs indignés rédigent un manifeste pour dénoncer "les harcèlements et les emprisonnements des journalistes, les arrestations de citoyen.ne.s qui ont exprimé leurs opinions sur les réseaux sociaux, les violentes répressions des manifestations", "le lynchage public" des dissidents dans les "médias réactionnaires de diffamation". En riposte, 670 artistes "patriotes" montent eux un collectif pour dire qu'ils font "confiance" aux institutions marocaines.

Cette guerre des communiqués est même arrivée en France : lorsqu'une tribune soutenue par 150 personnes, dont des élus communistes, paraît dans la presse française (Orient XXI et L'Humanité) pour dénoncer "une machine répressive" et l'intolérance du régime face aux réseaux sociaux (15 arrestations en six mois), un communiqué signé par 130 associations s'indigne de la "diffusion d'informations trompeuses" sur le Maroc.

Les autorités marocaines, elles, assurent que "le Maroc n'a pas de problème avec la liberté d'expression" et évoquent l'indépendance de la justice après "deux décennies d'acquis en matière de droits de l'Homme". Officiellement, il n'y a plus de prisonniers d'opinion au Maroc depuis le règne de Hassan 2. Dans son dernier classement annuel de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, le Maroc est à la 133è place sur 180.

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